Il y a quinze ans : Novembre-décembre 1995, la grève de la fonction publique22/12/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/12/une-2212.gif.445x577_q85_box-0%2C7%2C174%2C233_crop_detail.png

Divers

Il y a quinze ans : Novembre-décembre 1995, la grève de la fonction publique

Le mouvement de novembre-décembre 2010 contre la réforme des retraites n'a pas fait remballer son projet au gouvernement. Mais il a montré que les grèves et les manifestations sont des armes qui permettent aux travailleurs de se faire craindre de la bourgeoisie et de son gouvernement, en intervenant sur leur terrain de classe.

En trente-cinq ans d'offensive ininterrompue de la bourgeoisie contre le monde du travail, les seuls répits ont été obtenus non par les élections, mais par la grève et la rue. Le mouvement dans la fonction publique de l'automne 1995 vient le rappeler avec pertinence.

Le 15 novembre 1995, le Premier ministre d'alors, Alain Juppé, présentait à l'Assemblée nationale - déjà - un plan de réforme de la Sécurité sociale. Celui-ci prévoyait essentiellement le transfert à l'État de la gestion de la Sécurité sociale assurée jusque-là par les organismes paritaires patronat-syndicats, ainsi que l'augmentation de 37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisation exigée pour que les travailleurs de la fonction publique et ceux relevant des régimes dits « spéciaux » (comme les cheminots) puissent toucher une retraite à taux plein.

Deux ans auparavant, Balladur avait déjà imposé ce recul aux salariés du secteur privé. Juppé ne parvint pas à l'étendre à l'ensemble des travailleurs. Il avait sous-estimé deux choses : la détermination des directions syndicales à s'opposer à son projet et leur capacité à entraîner des pans importants des travailleurs de la fonction publique dans la grève, qui bénéficia dans la population de la sympathie du plus grand nombre.

LE CHOIX DES ORGANISATIONS SYNDICALES

À l'annonce du plan Juppé, la CFDT, alors dirigée par Nicole Notat, choisissait de le soutenir, prenant simplement quelque distance avec les attaques contre les fonctionnaires. Il n'en fut pas de même pour FO et surtout pour la CGT, dont les intérêts d'appareils étaient directement concernés par la réforme. L'appareil de Force Ouvrière était touché puisque le gouvernement lui retirait la gestion des caisses de Sécurité sociale, importante source de postes. De son côté, la CGT, que le gouvernement dédaignait au profit de la CFDT, décidait de réagir.

Le mouvement de grève de l'hiver 1995 ne partit donc pas de la base, mais fut d'abord voulu par ces deux directions syndicales.

Le 10 octobre déjà, une journée de grève chez les fonctionnaires contre l'annonce du gel de leurs salaires avait rassemblé 55 % de grévistes et un nombre de manifestants inédit depuis 1986. Mais à l'annonce du plan Juppé, les sept fédérations de fonctionnaires (mais pas FO) appelèrent à une journée de grève le 24 novembre. FO appelait de son côté à une journée le 28 novembre.

Le 24, il y eut un million de manifestants dans toute la France, dont de très fortes manifestations en province. Les transports en commun furent bloqués à Paris comme en province. Les fédérations de cheminots appelèrent dès le 24 au soir à la grève reconductible. Le 25, ce fut le tour des bus parisiens, et deux jours plus tard du métro. La CGT se rallia à la journée du 28 novembre, qui devint un succès plus grand encore et un tremplin pour la suite.

En annonçant chaque fois à l'avance de nouvelles journées, le 5 décembre, puis le 12, puis le 16, les confédérations affichaient leur détermination et permettaient aux secteurs en lutte d'y rester et à de nouveaux secteurs de rejoindre la grève. Elles avancèrent des revendications communes, comme le « retrait du plan Juppé », et unifiantes comme « 37 ans et demi pour tous, public et privé ». À l'opposé des assemblées séparées, secteur par secteur, habituelles, elles laissèrent leurs militants organiser des assemblées générales intercatégories, interservices, interentreprises, dans lesquelles se côtoyaient cheminots, postiers, enseignants... Le désormais fameux « Tous ensemble, tous ensemble », scandé dans les manifestations, symbolisait cette unité des travailleurs en lutte.

Devant l'extension de la grève, et même si elle resta surtout limitée aux travailleurs de la fonction publique, Juppé finit par céder. Le 12 décembre, il annonçait qu'il ne toucherait pas aux retraites des fonctionnaires et des salariés des régimes spéciaux (cheminots, EDF, poste, etc.). Il maintenait toutefois l'intégration du budget de la Sécurité sociale dans le budget de l'État.

Pour les grévistes, le mouvement était victorieux. Il allait d'ailleurs donner un sursis d'une décennie à la remise en cause des retraites de certaines autres catégories de fonctionnaires.

1995, 2010 : DEUX ETAPES

Cette grève de l'hiver 1995, dans laquelle les cheminots jouèrent un rôle important, suscite la comparaison avec le mouvement qui vient de se dérouler en septembre-octobre 2010. En particulier parce que l'objectif, il y a quinze ans comme aujourd'hui, était de s'opposer à une « réforme » de la retraite constituant une régression importante.

En 2010 comme en 1995, un gouvernement de droite a décidé d'imposer sa réforme en passant par-dessus la tête des confédérations syndicales, en leur ôtant même toute possibilité de dire leur mot. La récente colère de Chérèque, qui aujourd'hui a remplacé Notat à la tête de la CFDT et a pourtant avalisé tant de plans antiouvriers, n'était pas feinte, quand il s'indignait de n'avoir eu aucun contact sérieux avec le ministère. Et, en 2010 comme en 1995, les directions syndicales ont lâché la bride à leurs militants et se sont appuyées sur les secteurs les plus combatifs pour aller dans le sens de l'extension de la grève, appelant à des journées de mobilisation successives. La grève de 2010 dans les transports en commun a été moins spectaculaire que celle de 1995 et n'a pas engendré une paralysie comparable. Mais le simple fait d'être rejointe par d'autres bataillons de travailleurs, ceux des raffineries, menaçant de pénurie d'essence l'ensemble du pays, a montré la force que donne aux travailleurs leur place dans la production. Plus encore qu'en 1995, on a vu en 2010 de nombreux travailleurs du privé participer aux manifestations, y compris des travailleurs de petites entreprises, pour qui ce mouvement était souvent le premier.

En 2010 comme en 1995, en dépit de leur politique de collaboration de classe de plus en plus accentuée, les confédérations syndicales, et en particulier la plus puissante d'entre elles, la CGT, ont montré leur capacité à lancer un mouvement d'ampleur lorsqu'elles l'estiment nécessaire. Elles ont bien sûr pour cela leurs propres préoccupations et arrière-pensées, qui ne recouvrent que partiellement les intérêts des travailleurs. Il reste que cela a permis à une fraction importante de la classe ouvrière du pays de répondre « présent ». Et c'est en tout cas la preuve qu'une réaction de l'ensemble de la classe ouvrière contre les attaques dont elle fait l'objet est possible : tout peut dépendre des objectifs et de la politique que lui proposent les organisations qui disent la représenter. Les « Tous ensemble, tous ensemble » de 1995 et 2010 en annoncent certainement d'autres.

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