Maroc : La mort d'Abraham Serfaty24/11/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/11/une-2208.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C240%2C323_crop_detail.png

Dans le monde

Maroc : La mort d'Abraham Serfaty

Abraham Serfaty est décédé le 18 novembre à Marrakech, à l'âge de 84 ans, dont de nombreuses années passées en prison pour sa lutte contre le colonialisme français d'abord, contre le régime de dictature du roi Hassan II ensuite. Avec lui, c'est un courageux militant anticolonialiste et anti-impérialiste qui disparaît.

Né dans la communauté juive de Casablanca en 1926, Serfaty partit à Paris en 1945 pour des études d'ingénieur, alors qu'il était devenu communiste, adhérent au PC jusqu'à sa rupture quinze ans plus tard. À son retour au Maroc, alors protectorat français, ses convictions anticolonialistes lui valurent une première fois la prison. En décembre 1952, après les émeutes de Casablanca où la troupe fit des centaines de morts, le résident général français au Maroc déporta des militants nationalistes dans le Sud marocain, tandis qu'Abraham Serfaty et sa sour Évelyne étaient expédiés en résidence surveillée en France.

En 1956 alors qu'une explosion généralisée couvait dans l'ensemble du Maghreb, l'impérialisme français finit par reconnaître l'indépendance du Maroc et celle de la Tunisie, lâchant du lest pour mieux poursuivre la guerre contre les indépendantistes algériens. Au Maroc, Abraham Serfaty devint directeur de l'Office chérifien des phosphates, mais il en fut aussitôt renvoyé pour s'être montré solidaire d'une grève des ouvriers. Torturé lors d'une arrestation en 1972, il poursuivit la lutte avec l'organisation se réclamant du « marxisme-léninisme » qu'il avait contribué à fonder, Ila Al Amame (En Avant), devenue aujourd'hui Annahj Addimokrati (La voie démocratique). Évelyne Serfaty mourut en 1974 des suites de ses tortures pour ne pas avoir révélé où se cachait son frère. Trois ans plus tard, celui-ci était arrêté avec 139 autres personnes, condamné à la détention perpétuelle et menotté pendant quinze mois d'affilée. La dictature, en particulier, ne pouvait lui pardonner de s'être prononcé pour l'autodétermination du peuple sahraoui, alors qu'avec le soutien de différentes puissances, dont la France, le Maroc venait d'annexer le territoire du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole peu peuplée mais riche en gisements de phosphates.

Alors que des ministres français, de droite ou socialistes, ainsi que des journalistes et écrivains complaisants comme Maurice Druon étaient les hôtes choyés par le roi du Maroc, les prisonniers politiques remplissaient le bagne de Tazmamart et la prison de Kenitra où Serfaty fut enfermé durant dix-sept ans. « Peu m'importe qu'il y ait quinze millions d'opposants au Maroc pourvu qu'il n'y ait pas d'opposition », avait déclaré en privé le roi. Comme l'écrivit plus tard Serfaty : « On ne peut pas oublier que les années du règne d'Hassan II furent jalonnées de massacres. Celui du 23 mars 1965 contre la jeunesse révoltée de Casablanca. Celui de juin 1981 contre toute la population des quartiers pauvres de Casablanca, également révoltée. Celui de janvier 1984 contre le peuple de Marrakech et tout le peuple du Rif (.) qu'il qualifia alors de « oubash » (voyous). »

Expulsé en France à sa sortie de prison en 1999, Serfaty put revenir au Maroc quand Mohamed VI succéda à Hassan II. Avec le nouveau roi, le régime n'a pas changé pour l'essentiel, on l'a encore vu récemment avec la répression des manifestations des Sahraouis, ou celle des travailleurs de l'Office chérifien des phosphates et de bien d'autres. Le gouvernement français, lui, est toujours en excellents termes avec « son ami le roi », même si ce n'est plus le même. Pour les fêtes de fin d'année 2009, le couple présidentiel français était l'hôte du roi du Maroc et, à la fin octobre dernier, il a pu faire une nouvelle escapade dans la résidence de Mohammed VI, que celui-ci avait mise à la disposition du couple pendant qu'il était parti à la chasse.

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