Affaire de Karachi : Dessous-de-table et dessous politiques24/11/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/11/une-2208.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C240%2C323_crop_detail.png

Dans le monde

Affaire de Karachi : Dessous-de-table et dessous politiques

L'attentat de Karachi, en 2002, qui avait tué quinze personnes, dont onze employés de la DCN (Direction des chantiers navals), pourrait bien, huit ans après, faire de nouvelles victimes, cette fois politiques, parmi des dirigeants français présents ou passés, dont il apparaît maintenant qu'ils trempent jusqu'au cou dans cette ténébreuse affaire.

Enfin, un peu moins ténébreuse grâce à des membres des familles des employés de la DCN qui se battent pour obtenir enfin la vérité sur ce qui a causé la mort de leurs proches. Mais aussi parce que des chefs de clans rivaux de la droite, Villepin et Sarkozy aujourd'hui, comme leurs mentors Chirac et Balladur il y a quinze ans, ont fait de cette affaire un champ de leur affrontement.

Ce que l'on découvre à cette occasion n'est qu'un petit coin de la réalité des dessous politico-financiers des contrats d'armement d'État. Mais c'est déjà instructif sur les pratiques des gens qui évoluent dans les sommets de l'État.

Ainsi, la vente de sous-marins français au Pakistan, en 1994, semble avoir fait l'objet - une pratique habituelle, paraît-il - d'énormes pots-de-vin (10 % du montant du contrat, soit 554 millions de francs) destinés aux généraux et dirigeants pakistanais. Mais il y aurait eu aussi des « rétrocommissions » : en l'occurrence, une part de ces dessous-de-table serait revenue, de façon occulte, à la partie française. Quels en ont été les bénéficiaires ? Des rumeurs insistantes font état d'un montage financier, via des paradis fiscaux, qui aurait permis au Premier ministre d'alors, Balladur, de financer de façon inavouable sa campagne électorale présidentielle de 1995 face à Chirac.

Le Conseil constitutionnel, chargé de vérifier les comptes des candidats, avait alors émis de sérieuses réserves sur ceux de Balladur car il y apparaissait des financements en liquide d'origine douteuse. Mais il avait fini par les avaliser. Chirac ayant été élu président, il avait ensuite fait cesser les versements aux généraux pakistanais négociés par son « ami de trente ans » Balladur. C'est ce qui, dit-on, aurait provoqué en représailles l'attentat de Karachi.

Sarkozy ayant été le ministre du Budget de Balladur, puis son porte-parole lors de la présidentielle de 1995, on comprend pourquoi, en 2009, l'actuel président avait traité cela de « fable »... avant d'être aujourd'hui démenti par Charles Millon, ancien ministre de la Défense de Chirac, qui affirme avoir fait cesser « le versement des commissions pouvant donner lieu à des rétrocommissions ».

Villepin, de son côté, ne pouvait résister au plaisir d'en remettre une couche. Mis en cause par les familles des victimes qui exigeaient qu'il témoigne en tant que secrétaire général de l'Élysée de l'époque, il est allé parler à TF1 de « très forts soupçons de rétrocommissions », annonçant qu'il demandait à être entendu par le magistrat chargé de l'affaire.

Sarkozy a alors contre-attaqué en promettant que « tous les documents demandés (par la commission d'enquête et les avocats des parties civiles) seront communiqués en temps et en heure »... Les autorités ayant déjà assuré avoir tout transmis à la justice, et Fillon venant de refuser au juge l'accès à la DGSE (les services secrets), tout cela pourrait faire sourire, si l'on ne se souvenait que, derrière ces coups tordus entre politiciens de droite, il n'y avait la mort de quinze personnes, la vente de sous-marins à une dictature et un scandale de corruption à grande échelle qui remonte jusqu'au sommet de l'État d'hier et d'aujourd'hui.

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