Nous nous sommes fait respecter, nous saurons les faire reculer03/11/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/11/une-2205.gif.445x577_q85_box-0%2C7%2C174%2C233_crop_detail.png

Editorial

Nous nous sommes fait respecter, nous saurons les faire reculer

Au matin de la journée de manifestations du 28 octobre, télévisions comme radios étaient unanimes pour enterrer, une fois de plus, le mouvement. Elles ont toutes annoncé l'échec de la journée. Eh bien, même s'il y avait un peu moins de monde, cela n'a pas été un échec ! La propagande gouvernementale s'est retournée contre ceux qui l'ont inspirée. Elle a convaincu les hésitants que, même si le gouvernement a réussi à faire voter sa loi contre les retraités par deux Assemblées à sa botte, il fallait rejoindre les manifestations et que c'était une question de dignité.

Le gouvernement a eu le vote qu'il voulait. Mais il ne l'emportera pas au paradis. Infiniment plus important que ce vote, par des notables aussi obéissants au pouvoir qu'hostiles à ceux qui travaillent et les font vivre, est le fait que les travailleurs ont relevé la tête. Ils montrent depuis plusieurs semaines qu'il faut compter avec eux.

Tous les travailleurs savent depuis le début que la loi contre les retraités est injuste. Tous les travailleurs savent que, pour ceux d'entre eux qui seront encore en activité à 60 ans, leur imposer deux ans d'usure, d'exploitation de plus, est une infamie. Ils savent aussi que nombre d'entre eux auront perdu leur emploi avant 60 ans et que, pour eux, la nouvelle loi signifiera une pension amputée.

Le gouvernement est quand même passé en force, montrant par là qu'il n'a que faire de l'opinion de la majorité. Il n'y a pas à s'en étonner. Le gouvernement agit sur commande du grand patronat. Mais il se garde de fêter trop bruyamment d'avoir fait voter sa loi. Il sait que, si le mouvement n'est pas encore suffisant pour le faire reculer, le rapport de forces est en train de changer.

Des centaines de milliers de travailleurs, trois millions au total, ont participé au mouvement sous une forme ou une autre, et en sont fiers. D'autant plus fiers qu'ils savaient qu'ils avaient la sympathie de la grande majorité du monde du travail. Ils ont entrevu la puissance collective des travailleurs.

Se retrouver ensemble, travailleurs du public et travailleurs du privé, ceux des grandes entreprises comme ceux des petites, est la démonstration que le corporatisme n'est plus de mise. Les cheminots comme les travailleurs des raffineries, qui ont été aux avant-postes des grèves, se sont battus pour des objectifs communs à tous. Cela leur a valu la sympathie de tout le monde du travail.

Tous les travailleurs sont attaqués par le patronat et le gouvernement. C'est ensemble qu'ils peuvent se défendre et contre-attaquer.

Ces attaques ne portent pas seulement sur l'âge de départ à la retraite. Il y a tout le reste : les licenciements, la montée du chômage et de la précarité, la baisse du pouvoir d'achat. Il y a les mesures d'austérité, celles déjà annoncées et celles encore à venir. Toutes ces mesures ont en commun d'aggraver les conditions d'existence des salariés pour arroser d'argent les banquiers et toute la classe capitaliste, afin qu'ils continuent à s'enrichir malgré la crise, malgré la pauvreté croissante.

La lutte sur tous ces terrains ne peut être qu'une lutte politique, opposant les travailleurs non seulement à leurs propres patrons mais aussi à l'ensemble du patronat et au gouvernement qui le représente. Une des principales leçons du mouvement est là : même s'il n'a pas été assez puissant cette fois-ci pour faire reculer le gouvernement, c'est de cette façon que nous pourrons les faire reculer. Et cette leçon vaut pour tous les gouvernements, quelle que soit leur étiquette.

Oh, bien sûr, le Parti Socialiste cherchera à détourner la prise de conscience de cette réalité. Mais il ne suffira pas, en 2012, de remplacer à la présidence Sarkozy par un Strauss-Kahn ou une Martine Aubry pour que le patronat cesse d'exiger du gouvernement de mener la politique qui lui convient. Et le Parti Socialiste au gouvernement n'a jamais su ni voulu s'opposer au grand patronat pour défendre les intérêts des travailleurs.

Mais les travailleurs peuvent infléchir la politique du gouvernement, quel qu'il soit, directement par en bas, par leurs propres moyens, par les manifestations et par les grèves.

Le mouvement actuel n'est pas une fin mais un commencement. D'autres luttes sont inévitables, car ni le patronat ni le gouvernement ne nous laissent d'autre choix. Et les leçons de septembre-octobre nous auront servi pour que la lutte soit, chaque fois, plus consciente et plus ample. Alors, même si la loi sur la retraite a été votée, la journée de manifestations du samedi 6 novembre doit être largement suivie. Dans cette jungle qu'est la société capitaliste, on ne se fait respecter qu'en montrant sa force. Nous commençons à nous faire respecter.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 1er novembre

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