Maroc - Les dix ans de règne de Mohamed VI : Un dépoussiérage de façade05/08/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/08/une2140.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Maroc - Les dix ans de règne de Mohamed VI : Un dépoussiérage de façade

Le 30 juillet, le souverain marocain Mohamed VI fêtait les dix ans de son règne. Au cours de la traditionnelle cérémonie qui célèbre chaque année son arrivée au pouvoir, tous les dignitaires, élus ou responsables locaux, sont venus lui faire acte d'allégeance en s'inclinant devant lui. En dépit de ces traditions féodales, les défenseurs du régime et la presse aux ordres ont cependant salué les efforts du roi pour moderniser le pays et instaurer un régime qui aurait rompu avec la dictature qu'exerçait son père Hassan II. Mais il faudrait plutôt parler de continuité.

« Croissance » pour une minorité

Il est vrai qu'au cours de ces dix dernières années, le Maroc a connu un développement économique sur de nombreux plans, essentiellement au travers d'une politique de grands travaux : construction de routes et d'autoroutes, y compris dans le sud du pays, d'un port - Tanger-Med - sur la Méditerranée, de programmes touristiques et immobiliers. Les services aussi se sont développés, notamment l'implantation de grandes surfaces ou de centres d'appel et de télémarketing. Les autorités se félicitent du taux de croissance du pays, encore supérieur à 2 % du PIB l'an passé malgré les effets de la crise.

Mais cette croissance ne profite guère à la majorité de la population. Les richesses produites sont accaparées par une minorité de profiteurs, à commencer par le roi. De même, les capitalistes étrangers qui investissent au Maroc, dont les français avec Vivendi, Veolia ou les Ciments Lafarge, pour n'en citer que quelques-uns, rapatrient leurs bénéfices pour les distribuer à leurs actionnaires au lieu de les réinvestir dans l'économie marocaine. Ainsi, des symboles de modernisme et de richesse constituent des îlots au milieu d'immenses zones sous-développées, que ce soit du point de vue des industries, des transports ou du logement. Comme dans tous les pays du Tiers-Monde, les bidonvilles côtoient les immeubles de luxe.

Et comme du temps d'Hassan II, l'opacité, la corruption et les pots-de-vin sont derrière toute la machine économique du pays.

Rupture avec Hassan II ?

Selon les laudateurs du régime, Mohamed VI aurait tourné la page du passé en instaurant en 2004 un Code de la Famille qui donne aux femmes pratiquement les mêmes droits qu'aux hommes et en lançant l'année suivante une Initiative nationale pour le développement humain (INDH) visant à réduire la pauvreté de moitié en cinq ans. Mais il s'agit pour l'instant d'initiatives sur le papier, loin de se concrétiser.

Quant à la liberté politique, elle reste limitée. Les prisonniers politiques du régime précédent ont été libérés et même indemnisés. Mais le processus avait déjà commencé à la fin du règne d'Hassan II, qui avait un peu relâché la pression pour permettre la transition. Des témoignages ont été rendus publics, mais sans suite judiciaire, et les responsables de tortures ou d'assassinats ne sont toujours pas inquiétés. La liberté de la presse existe... à condition de ne parler ni du roi ni de la religion ni du Sahara occidental, annexé par le Maroc en 1975. Le régime marocain continue de refuser l'indépendance aux Sahraouis, et des centaines d'entre eux sont actuellement emprisonnés. Et après les attentats islamistes de 2003, des milliers de personnes ont été arrêtées et pour la moitié d'entre elles condamnées, alors qu'elles n'ont évidemment pas toutes quelque chose à voir avec ces attentats.

Le nouveau Code du travail

Pour les travailleurs, la situation ne s'est guère améliorée en dix ans. Le chômage dépasse officiellement 10 % de la population active et si les salaires ont été un peu augmentés, ils dépassent rarement 600 dirhams (soit moins de 60 euros) pour la majorité d'entre eux. Il existe un mouvement important des « diplômés chômeurs », qui dénoncent l'absence d'emploi y compris pour les jeunes ayant fait des études supérieures et à qui l'on n'offre, au mieux, que des places sous-payées dans des centres d'appel comme Téléperformance.

En revanche les hausses des prix, notamment sur les céréales, l'eau, l'électricité ou les transports ont parfois atteint 30 %, provoquant d'ailleurs des émeutes comme dans la ville de Séfrou en 2007.

Une des réalisations dont se vante le régime a été la publication d'un nouveau Code du travail en 2004, censé « moderniser » les relations entre les patrons et les salariés. Le gouvernement a cependant traîné avant de publier les décrets d'application, retardant ainsi celle des clauses favorables aux travailleurs telles que l'indemnisation des licenciements ou la médecine du travail.

En fait, ce texte voudrait favoriser la concertation entre syndicats et employeurs, afin de tenter de limiter les mouvements de grève. Mais pour qu'il y ait concertation, il faut être deux. Les organisations syndicales sont autorisées depuis longtemps, mais nombre de patrons ne veulent toujours pas entendre parler de syndicat chez eux, même dans de grandes entreprises ; et quand ils existent et que des accords sont signés, ce n'est pas pour autant que leurs termes sont respectés. Il est fréquent que des ouvriers soient licenciés pour avoir demandé que soient appliquées les dispositions prévues dans le Code du travail, aussi bien dans les mines que dans les exploitations agricoles ou les petites entreprises. La justice vient en outre au secours des patrons : ainsi, en avril 2009, dix jeunes chômeurs, étudiants ou militants associatifs ont été condamnés à des peines de prison ferme pour avoir participé aux manifestations qui ont marqué la ville de Sidi Ifni en 2008. Pour la justice, faire grève peut être assimilable à un délit de « rassemblement armé » ou « contribution et direction d'une bande criminelle ».

Dans ces conditions, le Code du travail est plus la vitrine démocratique que tente de se donner le régime sur un plan international qu'une quelconque obligation pour le patronat, et c'est par la lutte que les travailleurs marocains doivent imposer un minimum de protections en matière de conditions de travail, salaires ou emplois.

La façade moderniste du Maroc ne masque pas les grandes inégalités sociales qui persistent et apparaissent à travers certaines données : plus de 40 % de la population est encore analphabète et le Maroc occupe la 126e place sur 177 pays dans le rapport de l'ONU sur le développement humain. Si le développement profite en effet au roi, à la bourgeoisie marocaine et aux capitalistes des pays impérialistes, français en particulier, pour les travailleurs et la population, rien ne peut être acquis sans lutte pied à pied.

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