Turquie : La silicose tue les travailleurs du textile03/06/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/06/une2131.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Turquie : La silicose tue les travailleurs du textile

Depuis 2005, des cas de silicose, risque connu de longue date pour les mineurs, les sableurs de l'industrie métallurgique ou les sableurs de façades, ont été révélés - dans le cadre d'un congrès de pneumologie au Danemark - par deux équipes médicales turques chez de jeunes ouvriers travaillant au sablage des jeans.

La mode des jeans « stonewashed », artificiellement usés et délavés, a en effet multiplié en Turquie les ateliers de sablage, travaillant pour les fabricants de jeans, eux-mêmes fournisseurs de marques petites ou célèbres. Ces ateliers d'Istanbul se seraient développés depuis dix ans, lorsque la vente de ce type de jeans s'est elle-même étendue. Peu coûteux en infrastructures et machines, ces petits ateliers de sablage firent d'abord appel à la main-d'oeuvre des travailleurs « clandestins » venus de Roumanie, de Bulgarie ou d'Azerbaïdjan. Puis des milliers de jeunes venus de l'Est ou du Sud arrivèrent, employés sans horaires ni protection d'aucune sorte, à part un masque de papier, dans des locaux souvent insalubres et non ventilés. Des machines existent pour obtenir le même résultat, mais le travail des jeunes campagnards non déclarés, sans Sécurité sociale, est tellement plus rentable !

Les deux premiers ouvriers dont le cas a été diagnostiqué en 2005 étaient des non-fumeurs de 18 et 19 ans. Selon le rapport médical de l'époque, « le premier est venu consulter après avoir souffert pendant trois mois d'une toux sèche, de malaises et d'une perte de poids, alors que le second souffrait d'une insuffisance respiratoire depuis quatre ans. Ils n'avaient que 13 et 14 ans quand ils ont commencé à faire ce métier, à raison de onze heures par jour dans le même petit atelier fermé et peu ventilé, avec pour toute protection un simple masque facial. Un mois après le diagnostic, [...] le plus jeune décédait, tandis que le traitement administré au second n'avait pas permis d'améliorer ses fonctions respiratoires. »

Cette silicose des sableurs de jeans serait, selon le rapporteur, une forme particulièrement aiguë de la maladie, se développant en moins de cinq ans, contrairement aux formes classiques qui se développent sur plusieurs décennies. La cause en serait une « exposition intense à de fortes quantités de poussières contenant une proportion significative de silice ».

En même temps, les chercheurs turcs dénonçaient cette pratique du sablage au jet, contrôlée voire interdite en Europe depuis quarante ans, mais poursuivie en Turquie et dans de nombreux pays pauvres. Ils alertaient le gouvernement turc sur l'existence de ces multiples petits ateliers, et disaient leur inquiétude devant l'ampleur inconnue du problème.

À présent, 10 à 15 000 ouvriers auraient travaillé au sablage des jeans et, selon un comité qui lutte pour mettre les autorités turques devant leurs responsabilités, au moins 3 000 à 5 000 d'entre eux auraient contracté cette forme particulièrement grave de silicose. Un jeune ouvrier venu de la province orientale de Bingöl, lui-même atteint, raconte que, sur 300 jeunes venus de son village, le diagnostic de silicose a été posé chez 187, et souvent très tardivement, ce qui rend le traitement peu opérant. Actuellement, 40 morts ont déjà été recensés à la suite de cette forme de maladie, mais le bilan pourrait être beaucoup plus lourd.

Début avril, suite à la prise de conscience croissante de la population, le gouvernement turc a annoncé l'interdiction du sablage dans la confection des jeans. Il a également promis la fermeture d'une soixantaine d'ateliers clandestins, annoncé le renforcement des contrôles et assuré les ouvriers concernés de leur droit à la retraite.

Mais au-delà des patrons turcs du textile, petits et grands, qui s'engraissent sur la vie des jeunes ouvriers, et qui commencent à délocaliser leurs ateliers au Bangladesh, en Chine et en Egypte, il y a les capitalistes propriétaires ou actionnaires des grandes marques de mode, très connues, qui sous-traitent leur production dans ce pays, très gros exportateur, où la fabrication des jeans mobilise 300 000 travailleurs. Il n'y a qu'à chercher, à la ceinture des jeans, les noms des responsables.

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