Russie : Arsenal répressif renforcé04/02/20092009Journal/medias/journalnumero/images/2009/02/une2114.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Arsenal répressif renforcé

En Russie où, depuis 2000, Poutine a entrepris d'instaurer sa « dictature de la loi », le nationalisme d'État est redevenu le credo des milieux dirigeants. Encensant le passé tsariste et le régime stalinien, l'armée, la police et l'Église orthodoxe, les autorités usent du « patriotisme » pour intoxiquer la population et museler l'opposition.

Le gouvernement prépare ainsi une loi qui permettra de traîner devant une cour spéciale n'importe quel opposant, « l'incitation à des troubles à l'ordre public » étant assimilée à une « trahison ». Cela s'ajoutera aux dispositions réprimant « l'extrémisme », une notion des plus floues déjà largement utilisée contre des manifestants ou des syndicalistes. Sans oublier les attaques physiques, voire les assassinats dont sont périodiquement victimes des opposants, des journalistes, des avocats. Ainsi, le 18 janvier, un défenseur des droits de l'Homme, qui venait de dénoncer la remise en liberté d'un colonel meurtrier d'une jeune Tchétchène, a été abattu en plein jour à Moscou, de même qu'une journaliste qui se portait à son secours.

La crainte du pouvoir face aux travailleurs

Le pouvoir russe frappe déjà tout ce qui bouge. Et s'il renforce son arsenal répressif légal, c'est qu'il a quelques raisons de craindre le développement de conflits sociaux en réaction à la crise mondiale.

Régulièrement, les principaux médias russes - tous plus ou moins contrôlés par les autorités - détaillent les mesures « anticrise » que celles-ci disent prendre. « Dans presque chaque région siège un état-major de crise », écrivait un hebdomadaire fin 2008. Il citait des gouverneurs, disant être tenus par le Kremlin de lui faire un rapport quotidien sur la situation sociale. Ils auraient aussi reçu l'ordre, quand une entreprise de leur région menace de fermer, de l'inciter à mettre son personnel en chômage technique, puis à l'indemniser, en la menaçant de perdre ses subventions si elle n'obtempère pas.

Ici ou là, des directions indemnisent parfois le chômage partiel jusqu'aux deux tiers du salaire. Mais c'est loin d'être la règle dans toutes les branches. Et les travailleurs le savent car, malgré le silence des télévisions sur le sujet, les cas de chômage non indemnisé et de licenciements se multiplient. Pour ne prendre que des exemples très récents, citons l'usine de machines de Maïkop ; OuAlZ, une usine d'aluminium dans l'Oural ; le combinat Gdov près de Pskov ; la verrerie Natalinski dans la région de Sverdlovsk ; Avtomotor à Kaliningrad ; la compagnie des charbons de Tcheliabinsk ; Avtovaz, le géant automobile de Togliatti...

8 à 10 millions de chômeurs...

Le phénomène a pris une telle ampleur que les autorités engagent parfois des poursuites pour infraction au code du travail contre telle ou telle direction, ce qui ne change pas grand-chose, bien sûr. De 4 millions de chômeurs inscrits en 2008, on est passé à 5,8 millions, plus... 6 millions de chômeurs non inscrits, selon un vice-ministre. Et les experts estiment que d'ici fin 2009 les chômeurs « officiels » seront 8 à 10 millions, sur une population de 145 millions de Russes !

Et il y a la fonte du pouvoir d'achat. Car les salaires sont gelés tandis que, dans ce pays qui importe la plupart de ses marchandises, le rouble a perdu près de 40 % de sa valeur par rapport à l'euro et au dollar depuis l'été dernier !

Alors, il ne faut pas s'étonner que la contestation sociale, encore limitée, s'étende. Le 31 janvier, des manifestations contre la politique gouvernementale ont eu lieu dans diverses grandes villes, regroupant quelques milliers de participants à chaque fois. Mais, il arrive que ces mouvements prennent un autre caractère. Ainsi en décembre à Vladivostok, le grand port de l'Extrême-Orient russe, où les policiers locaux ont refusé de s'en prendre à des manifestants dont ils partageaient sans doute les revendications. Ou encore, le 18 janvier à Toutaev, près de Iaroslavl, sur la Volga, dont la population, solidaire des ouvriers que leurs usines menacent de licencier, a coupé les voies de communication, malgré l'envoi d'Omon (CRS russes) pour prévenir « le risque de désordres de masse », selon les autorités. Avec d'ailleurs, le 1er février, une nouvelle manifestation contre les licenciements, cette fois à Iaroslavl, la capitale régionale.

Des clignotants sociaux au rouge ?

Alors, dans le même temps où « le Kremlin fait savoir (...) qu'il ne faut pas licencier », écrivait un numéro de l'édition russe de Newsweek consacré à la crise, il a remis en vigueur un système de cartes du pays semées de « clignotants rouges pour avertir des conflits sociaux », comme au temps d'Eltsine. Et, mi-janvier, plusieurs journaux ont consacré de pleines pages aux violentes manifestations suscitées en Lettonie et en Bulgarie par les politiques des gouvernements locaux avec des titres comme : « La protestation s'est mise en marche - l'Europe de l'Est entre dans une zone de désordres de masse ».

Les dirigeants russes, leurs organes de répression et leurs médias s'y préparent. Mais rien ne dit que les travailleurs se laisseront faire sans réagir, comme on l'a vu à Toutaev où des manifestants ouvriers arboraient une banderole proclamant : « Que ceux qui en sont responsables paient la crise ! »

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