Tibet : Pékin réprime, l'Occident regarde ailleurs21/03/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/03/une2068.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Tibet : Pékin réprime, l'Occident regarde ailleurs

On ne sait pas très précisément ce qui s'est passé à Lhassa, la capitale du Tibet, où la police chinoise nie avoir tiré sur la foule et instauré la loi martiale. Toujours est-il qu'on y estime les morts à plusieurs dizaines, après que des manifestants y ont commémoré à leur façon le départ forcé en exil, le 13 mars 1959, du dalaï-lama.

À l'époque comme maintenant, le dalaï-lama se voulait le chef religieux et politique du Tibet, officiellement province de la République populaire de Chine fondée en 1949 par Mao Zedong. Quand le régime maoïste parvint au pouvoir, la Chine sortait de décennies de chaos, de guerres civiles et étrangères, où les rivalités des grandes puissances pour se tailler des fiefs en Chine y avaient favorisé le séparatisme. C'est dans ce contexte que le Tibet, rattaché depuis des siècles à l'Empire du Milieu, avait obtenu sa quasi-indépendance.

Plus encore que la Chine d'alors, le Tibet était resté plongé dans une profonde arriération. Ainsi, en 1949, plus de la moitié de la population était réduite au servage par moins de 5 % de propriétaires fonciers, les moines bouddhistes (les lamas) vivant en parasites sur la paysannerie, tandis qu'au sommet de cette société médiévale trônait un seigneur temporel et spirituel, le dalaï-lama.

En 1951, l'armée chinoise de " libération nationale " ayant pénétré dans Lhassa, un " accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet " fut signé avec le dalaï-lama. En échange de la reconnaissance de son régime, Pékin s'engageait à ne pas toucher au système social incarné par le dalaï-lama, qui continua donc à diriger le Tibet avec l'accord de Pékin.

Mais, après les émeutes anti-chinoises de 1956, qui s'étendirent en 1957 et 1958, Pékin choisit de se passer du dalaï-lama. Celui-ci prit la fuite, en mars 1959, pour échapper à la prison. L'abolition officielle du servage et de l'esclavage au Tibet ne datent que d'après son départ. Autre mesure visant les féodaux et moines tibétains ayant cessé d'être loyaux, la " collectivisation " des terres fut décidée par Pékin en 1961.

Cependant, en pleine Guerre froide, les États-Unis et leurs alliés entreprirent d'attiser le séparatisme tibétain car il affaiblissait le régime de Mao. Des guérilleros tibétains allèrent même s'entraîner dans un camp de la CIA, au Colorado. Sans grand résultat, semble-t-il.

Affectant d'ignorer son passé à la tête d'une théocratie féodale pratiquant la torture, le servage et même l'esclavagisme, la plupart des dirigeants occidentaux découvrirent alors dans le dalaï-lama une " référence spirituelle ", ce qui lui valut entre autres le prix Nobel de la paix en 1989.

Le régime de Pékin, lui, pour conforter son emprise, répliqua par des arrestations, des condamnations d'opposants, l'implantation de nombreux colons au Tibet. Devenus suspects, les moines bouddhistes furent persécutés et, durant la prétendue Révolution culturelle, nombre d'entre eux furent défroqués de force, sinon exécutés. Le régime poursuivait ses propres buts en tentant d'unifier économiquement et politiquement la Chine. Il tendait aussi à pousser le Tibet hors du Moyen Âge, avec des conséquences souvent positives : les conditions d'existence de la population changeaient. L'espérance de vie moyenne, qui était de 36 ans en 1950, passa à plus de 61 ans en 1990. La mortalité infantile chuta, la population fit plus que doubler en nombre. L'enseignement, en tibétain et en chinois, se répandit à la place du bourrage de crâne dans les écoles religieuses.

Cependant, antidémocratique pour l'ensemble de la population chinoise, le régime l'était d'autant plus pour le Tibet qu'il s'imposait de l'extérieur. Le relatif progrès économique et culturel rendait aussi l'oppression d'autant plus insupportable.

Dans d'autres régions de Chine, les flambées de colère de la population ne sont pas rares, suscitées par la corruption, l'exploitation, les vols de l'administration et du patronat. Mais au Tibet, toute contestation sociale et politique revêt aussi la forme d'une contestation nationale, ne serait-ce que parce que la langue et l'origine ethnique de ceux qui tiennent les fusils ne sont pas celles des manifestants. Et les méthodes odieuses, la politique même du régime chinois tendent aussi à masquer aux classes travailleuses tibétaines ce qui sépare leurs intérêts de ceux de leurs anciens maîtres, en les rejetant dans le camp clérico-féodal du dalaï-lama et de son entourage.

Quant aux grandes puissances, nombre de journaux, voire d'officiels gouvernementaux, n'ont pas manqué de protester verbalement contre la répression au Tibet. Des commentateurs, ici ou là, ont à nouveau évoqué un boycott des Jeux Olympiques de Pékin, alors que même le dalaï-lama se prononçait contre ! Mais le maximum, et en tout cas le plus sérieux dans le genre, est venu de Washington, qui a appelé Pékin à " plus de retenue ". En langage diplomatique, chacun sait ce que cela veut dire : faites comme chez vous.

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