Le "coup de Prague", un simulacre de révolution ouvrière20/02/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/02/une2064.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Le "coup de Prague", un simulacre de révolution ouvrière

Dans l'imagerie politique occidentale, le " coup de Prague " (qui vit le Parti Communiste Tchécoslovaque s'emparer, fin février 1948, d'un pouvoir qu'il avait jusqu'alors partagé avec d'autres) marque le début d'une division de l'Europe en deux camps, qui allait durer quatre décennies. Dans ce qu'on appela la " Guerre froide ", le " bloc de l'Est " (l'URSS et ses alliés) se retrouvait face au reste du monde, placé sous la direction des puissances impérialistes avec les États-Unis à leur tête.

Pourtant, quoi que prétendent les tenants du camp impérialiste, la confiscation du pouvoir par les partis staliniens d'Europe centrale fut moins le fait d'une politique voulue de longue date par la bureaucratie stalinienne qu'une réponse de l'URSS à la politique des autres grandes puissances.

Alliance contre l'Axe et contre d'éventuelles révolutions

Quand l'Allemagne nazie entreprit d'envahir l'Union soviétique, en 1941, celle-ci se trouva du même coup dans le même camp que la Grande-Bretagne et les États-Unis. Mais cette alliance circonstancielle n'allait pas faire disparaître les contradictions entre les puissances impérialistes et l'URSS, devenue une dictature bureaucratique, mais née d'une révolution ouvrière.

Pour les Alliés, États-Unis et Grande-Bretagne essentiellement, l'URSS n'était utile que dans la mesure où sa présence dans le conflit et la puissance de son armée pouvaient hâter la défaite de l'Allemagne. De plus, le stalinisme pouvait aider à éviter tout risque révolutionnaire en Europe centrale après l'effondrement militaire allemand.

Les dirigeants politiques occidentaux n'avaient pas oublié qu'une génération plus tôt la fin de la Première Guerre mondiale avait entraîné une vague de révolutions prolétariennes. Ils ne voulaient à aucun prix que cela se répète. Or Staline et son régime étaient tout à fait capables d'assurer l'ordre contre les peuples dans les régions que l'armée soviétique occupait à mesure qu'elle en chassait les troupes du Reich.

En effet la bureaucratie stalinienne elle-même craignait la révolution comme la peste. Elle, qui n'avait pu se hisser au pouvoir en URSS qu'en en chassant les communistes fidèles aux idéaux d'Octobre 1917, ne pouvait cesser de combattre tout ce qui aurait pu aider à une nouvelle victoire du prolétariat.

Avant même la fin de la guerre, lors des conférences de Téhéran et de Yalta, les Alliés et l'URSS se répartirent donc le rôle de gendarme dans des sphères d'influence respectives qu'ils s'attribuèrent, au mépris du droit des peuples.

Conformément à ces accords, dans la partie de l'Europe qu'occupait son armée et qui allait de la Roumanie et la Bulgarie à la Pologne, l'Allemagne orientale et la Tchécoslovaquie, le régime stalinien s'activa à reconstituer des appareils d'État capables d'assurer l'ordre. Pour cela, il s'appuya sur des Fronts nationaux regroupant, outre les partis staliniens, bien des éléments des régimes d'avant-guerre, sinon de ceux que les nazis avaient installés.

La même formule sévit d'ailleurs contre la classe ouvrière à l'autre bout de l'Europe. Là aussi, des partis staliniens associés au gouvernement, comme en France et en Italie, aidèrent la bourgeoisie à contraindre les travailleurs à " retrousser leurs manches ", selon un slogan du PCF d'alors.

En Tchécoslovaquie, le gouvernement de coalition comptait trois membres du parti catholique, trois démocrates slovaques, trois socialistes-nationaux, trois social-démocrates, trois staliniens et deux sans-parti, dont un évêque et deux généraux. À la tête de l'État fut confirmé Edvard Benes, ancien président de la République de 1935 à 1938, puis du gouvernement en exil à Londres après 1940. C'est cet État bourgeois remis sur pied avec l'appui de Staline qui, dès 1946, se chargea de nationaliser 70 % de l'économie - des nationalisations comme celles qu'effectuèrent, pour les mêmes raisons de remise en route de l'économie, bien des gouvernements d'alors en Europe... y compris celui de De Gaulle en France

Des débuts de la Guerre froide...

Mais la guerre à peine terminée, les contradictions, un temps estompées, qui opposaient l'impérialisme à son allié de la veille resurgirent avec force. Car, malgré le caractère foncièrement contre-révolutionnaire de la bureaucratie, l'URSS inspirait encore peu ou prou des mouvements qui, par exemple dans les colonies ou semi-colonies, cherchaient à secouer le joug des grandes puissances. Pour s'y opposer, l'impérialisme entreprit une politique dite de " containment " du communisme à l'échelle planétaire, lancée en janvier 1947 par le président américain Truman.

Dans la zone d'influence soviétique, dès la situation un peu stabilisée, les partis politiques bourgeois recommencèrent à regarder vers leur allié naturel, l'impérialisme. En Tchécoslovaquie, cela se manifesta dans le fait que le gouvernement unanime, PC compris, accepta en juin 1947 la proposition américaine de souscrire au volet économique du " containment ", le plan Marshall. Ce n'est qu'in extremis que la délégation tchécoslovaque fut empêchée, sur ordre du Kremlin, d'aller signer à Paris cet accord de coopération économique avec les États-Unis.

... au simulacre de Prague

De pareilles tendances à s'éloigner de Moscou se renforçaient à la tête des États de toute l'Europe centrale. Pour les juguler, la bureaucratie stalinienne, qui s'était dès 1944-1945 donné les moyens de contrôler la police locale, entreprit d'éliminer des gouvernements locaux, les uns après les autres, les partis qui ne lui étaient pas directement inféodés. Ce mouvement allait d'ailleurs se poursuivre, plus tard, avec l'épuration des partis staliniens eux-mêmes.

En Tchécoslovaquie une crise éclata, début 1948, à l'occasion de la prise en main complète de la police par Moscou. Le 21 février, douze ministres démissionnèrent, espérant provoquer une crise et des élections anticipées. Le PC, qui tenait les ministères-clés (armée, police, présidence du Conseil...), répliqua via la centrale syndicale unique, qu'il contrôlait et qui organisa une grève d'un jour. Il fit aussi défiler ses " milices ouvrières " dans le centre de Prague. Suite à quoi, le président Benes confia à Gottwald, chef du PC, la constitution du nouveau gouvernement. Peu après, celui-ci fit avaliser son " coup de Prague " par des élections sous contrôle, qu'il emporta évidemment.

Dans les autres pays d'Europe de l'Est, Staline et ses relais locaux ne s'embarrassèrent même pas d'un tel simulacre de mobilisation populaire pour parvenir à leurs fins. Et un " rideau de fer " tomba au coeur de l'Europe pour quatre décennies, avec l'instauration de dictatures odieuses.

Présentés comme " socialistes " parce que façonnés sous la pression militaire et économique de l'URSS de Staline, ces régimes ne devaient rien ni au socialisme ni à une quelconque intervention de la classe ouvrière. Au contraire, c'est contre elle que ces États avaient été remis en selle par la bureaucratie, avec l'appui d'une bonne partie des classes possédantes locales et de leur personnel politique, y compris le plus réactionnaire, avant d'être repris en main, avec des méthodes essentiellement policières, par le Kremlin. Ces dictatures n'eurent rien à envier à celles qui, au même moment ailleurs en Europe, continuaient à opprimer les peuples d'Espagne, du Portugal, au nom de la chrétienté et avec la bénédiction du " monde libre ".

Et si jusqu'à la chute du mur de Berlin, en 1989, ce monde-là n'eut aucun mal à trouver à s'indigner du régime des Démocraties populaires, il ne fut pas mécontent, finalement, que ce soit la bureaucratie russe qui se soit chargée de maintenir l'ordre contre les peuples et la classe ouvrière, à Berlin-Est en 1953, en Pologne et en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968, et encore en Pologne dans les années soixante-dix et quatre-vingt...

Car le monde impérialiste avait, lui, assez à faire à entretenir et protéger une myriade d'autres dictatures, plus infectes les unes que les autres : celles des Duvallier, Trujillo, Batista, Franco, Salazar, des généraux argentins, de Pinochet au Chili, des colonels grecs, et combien d'autres dont les régimes sont toujours en place aux quatre coins de la planète.

Partager