Indonésie : Suharto, mort d'un dictateur30/01/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/02/une2061.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Indonésie : Suharto, mort d'un dictateur

Un vieux dictateur de plus est mort dans son lit, sans avoir eu à rendre compte de ses crimes. L'ex-général Suharto vient de mourir après avoir durant trente-deux ans, de 1966 à 1998, fait régner sur l'Indonésie un régime despotique, corrompu, où le népotisme et la répression le disputaient aux signes d'allégeance à l'égard des impérialismes, et surtout du plus puissant d'entre eux, les États-Unis.

Colonie hollandaise depuis le 17e siècle, l'Indonésie conquit l'indépendance contre les autorités hollandaises en 1949 sous les auspices des États-Unis. L'armée indonésienne n'en organisa pas moins la répression d'un soulèvement dirigé par le Parti communiste indonésien, le PKI, faisant environ 10 000 morts, dont les dirigeants du PKI.

Du point de vue des États-Unis, l'Indonésie n'en était pas pour autant un allié sûr. Sous la présidence d'Ahmed Sukarno, l'Indonésie fut le symbole d'une politique de " non-alignement " lancée en 1955 à la conférence de Bandung, et qui faisait une brèche dans le blocus que l'impérialisme américain voulait imposer à l'URSS et à la Chine.

Pour mener cette politique, Sukarno s'appuya à la fois sur l'armée, qui avait récupéré de nombreux biens arrachés aux colons, et sur le PKI, cherchant à travers lui le soutien de la population pauvre. La réforme agraire de 1960 occasionna des mobilisations pour son application et, après plusieurs années de mauvaises récoltes, des soulèvements dans les campagnes. Par ailleurs des groupes politiques islamistes dressaient les paysans les uns contre les autres, et contre le PKI, comme dans l'île de Java où les conflits sanglants se succédèrent jusqu'en août 1965.

Cela fut pour les dirigeants américains l'occasion de tenter de mettre fin au pouvoir de Sukarno. D'autant plus que, comme le déclarait à l'époque un diplomate américain, " dans les pays sous-développés, il [n'était] pas question que nous puissions admettre des régimes communistes ou même des régimes libéraux acceptant dans leur pays un parti communiste puissant ". En réaction à un " Mouvement du 30 septembre 1965 ", où de jeunes officiers plus ou moins manipulés par la CIA arrêtèrent et tuèrent six généraux, Mohamed Suharto, alors numéro deux de l'armée, réduisit les mutins et déclencha une répression sans précédent contre le PKI, accusé d'être responsable des événements.

La sanglante répression de 1965

Ce fut, des mois durant, un massacre épouvantable, visant non seulement les partisans du PKI, qui fut anéanti, mais aussi tous les opposants, syndicalistes et travailleurs combatifs. Des pogroms furent ainsi dirigés contre les commerçants chinois et leurs compatriotes. Le nombre de victimes est estimé entre 500 000 et deux millions. Pendant vingt ans, les exécutions de prisonniers se poursuivirent.

Proclamé chef du gouvernement en 1966, puis officiellement président en 1968, Suharto fut soutenu non seulement par l'armée indonésienne et les États-Unis, mais aussi par les classes aisées qui avaient pu se sentir lésées sous le régime de Sukarno et avaient craint les révoltes populaires. Ce dernier n'avait cependant guère fait de concessions réelles aux couches pauvres. Il s'était en revanche servi de sa popularité, fondée sur son anticolonialisme, pour faire accepter à la population laborieuse de plus en plus de sacrifices.

Suharto, lui, centra l'équilibre de son régime nettement plus à droite. L'armée en demeura le pilier essentiel, l'influence des partis religieux musulmans y remplaça celle du PKI et des syndicats : l'athéisme fut interdit, l'enseignement religieux devint obligatoire, les partisans d'un État islamique se trouvèrent ainsi renforcés.

La férocité du régime ne perturbait pas les grandes puissances, qui laissèrent Suharto s'emparer en 1975 du Timor oriental, jusque-là possession portugaise riche de réserves pétrolières, et y perpétrer là aussi un véritable massacre. Un tiers de la population qui soutenait les indépendantistes y périt, l'aide militaire des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne ne faisant pourtant pas défaut à Suharto.

Corruption généralisée

La corruption généralisée n'a pas non plus semblé gêner les investisseurs étrangers, pour lesquels seule importait la possibilité d'exploiter sans limite les richesses de l'Indonésie en matières premières, en profitant d'une main-d'oeuvre à bas prix ; avant la crise monétaire asiatique de 1997, le salaire minimum légal était de 2,46 dollars par jour. Pendant les trente-deux ans du règne de Suharto, les nombreux trusts occidentaux ou japonais profitèrent : Total, Coca-Cola, British Petroleum, General Electric, Honda, etc. Les 7 % de croissance annuelle de ce que l'on appelait le " bébé-tigre " indonésien reposaient en fait sur le pillage intensif des ressources du pays et un endettement magistral, dont la moitié, privée, était le fait du proche entourage de Suharto, notamment de sa femme, surnommée " madame 10 % " du fait de la commission qu'elle prélevait systématiquement sur les gros contrats.

Les secousses de la crise financière asiatique de 1997 eurent finalement raison de lui : au travers de mobilisations étudiantes, le départ de Suharto fut réclamé dans les rues. Le mouvement populaire contre la misère, le chômage, la hausse des prix et la corruption, culminant avec les émeutes de Djakarta en mai 1998, conduisit l'impérialisme américain à lui modérer son soutien et le dictateur à démissionner. Suharto, le dirigeant le plus corrompu au monde selon certaines ONG, aurait amassé avec sa famille une fortune évaluée à plusieurs dizaines de milliards de dollars, en détournant au cours de ses années de pouvoir entre 0,6 et 1,3 % du produit intérieur brut du pays. Inculpé seulement pour un détournement de 570 millions de dollars de fonds publics, le vieux dictateur a réussi à échapper à toute condamnation, entre autres grâce à un certificat médical...

L'actuel président indonésien, Yudhoyono, ne craint pas de saluer aujourd'hui en Suharto " l'un des meilleurs fils de l'Indonésie et l'un des meilleurs dirigeants nationaux, qui a rendu de très grands services à sa nation bien-aimée ". Les États-Unis ont salué en lui " une figure historique ". Les millions de travailleurs indonésiens qui subissent encore les conséquences des sanglantes décennies Suharto jugeront.

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