Colombie : Derrière l'arbre de la guérilla, la forêt du terrorisme d'État.02/01/20082008Journal/medias/journalnumero/images/2008/01/une2057.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Colombie : Derrière l'arbre de la guérilla, la forêt du terrorisme d'État.

La libération de trois otages détenus par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), annoncée le 9 décembre dernier semble suspendue. C'est que ce rapatriement intervient dans un pays en guerre civile, dont le dictateur-président fait tout pour que la guérilla ne puisse tirer un quelconque crédit de cette libération annoncée.

Soixante ans de guerre civile.

Contrairement à ce que prétend la presse, les FARC sont loin d'être les seuls ou même les principaux responsables de la violence en Colombie. Elles ne sont apparues qu'en réaction aux menaces perpétrées par les propriétaires terriens contre les paysans pauvres, une situation qui remonte à 1948.

Depuis très longtemps, deux partis bourgeois, l'un, le parti conservateur, composé à l'origine d'éleveurs, et l'autre d'hommes d'affaires, le parti libéral (lié à la social-démocratie), se sont relayés au pouvoir par la voie électorale mais souvent par la force et les hommes de main. En 1948, un dissident du parti libéral, Jorge Gaitan, qui cherchait l'appui des ouvriers et des paysans contre l'oligarchie terrienne, fut assassiné par des tueurs du parti conservateur pour l'empêcher d'être élu président. Ce fut le début d'une guerre civile appelée pudiquement " les violences ", qui se poursuivit dans les années cinquante et a fait 300 000 morts.

Tandis que les politiciens s'entretuaient, éliminant au passage les militants communistes ou supposés tels, les propriétaires terriens faisaient la guerre aux paysans, les chassant de leurs terres pour élargir de grands domaines réservés à l'élevage. Des paysans résistèrent en formant des groupes d'autodéfense, dont a fait partie le fondateur des FARC, Manuel Marulanda.

Les FARC, nées en 1964, actuellement estimées à 20 000 combattants, mais aussi l'ELN (Armée de Libération nationale), apparue en 1962, 4 000 membres, existent toujours.

Les FARC dépendent de la paysannerie et lui sont liées. Dans les régions sous leur contrôle, elles lèvent des impôts sur les paysans et leur assurent une certaine protection sociale. Les années soixante-dix amenèrent un " boom " de la production de coca, base de la cocaïne, puis du pavot, base de l'héroïne. Des paysans se convertirent à ces productions qui leur permettaient d'échapper à la misère. Les FARC s'en accommodèrent car l'impôt pouvant être prélevé leur donnait le moyen d'équiper leur armée.

En revanche, la transformation et la livraison de la drogue vers les États-Unis ou l'Europe dépendaient des barons de la drogue, les " cartels " de Medellin ou de Cali. Les relations entre guérilleros et trafiquants s'envenimèrent quand les narco-trafiquants blanchirent leur fortune en achetant des terres, se mêlant ainsi à la bourgeoisie terrienne.

Les paramilitaires, bras armé des classes riches.

Dès lors, la guerre civile opposa les FARC aux narco-propriétaires qui créèrent les " escadrons de la mort " pour éliminer les guérilleros ou simplement des paysans pauvres dont ils voulaient voler la terre. Au début des années quatre-vingt, la guérilla kidnappa des narco-propriétaires. En réaction, le cartel de Cali créa un groupe de tueurs appelé " Mort aux kidnappeurs ". Les années suivantes apparurent des centaines de groupes paramilitaires, parrainés par les politiciens, les hommes d'affaires, les éleveurs et les compagnies étrangères.

En 1985, le président colombien d'alors proposa un cessez-le-feu aux FARC. Celles-ci créèrent un parti politique légal, l'Union patriotique, participant aux élections.

Mais l'accord fut rompu en 1986 par le président suivant. Et les paramilitaires assassinèrent alors trois mille militants de ce parti, ses cadres, des centaines d'élus et deux candidats à la présidence.

Ce que le Brésil, l'Uruguay, le Chili ou l'Argentine ont connu sous des dictatures militaires, la Colombie l'a vécu ces vingt-cinq dernières années du fait des paramilitaires. Le bilan est effrayant : trois à quatre millions de personnes déplacées, 70 000 personnes assassinées, des guérilleros, des paysans pauvres, des trafiquants concurrents, des politiciens non corrompus, et tous ceux qui ont relevé la tête même sans soutenir la guérilla.

Dans les régions sous leur contrôle, les paramilitaires ont massacré des villages entiers, assassiné les militants des minorités indiennes ou des mouvements de femmes et plusieurs milliers de syndicalistes.

Une situation entretenue par le pouvoir.

Des organismes comme Amnesty International ont publié des bilans de la guerre civile en Colombie : 70 % des actes de violence seraient le fait des paramilitaires, 15 % le fait de l'armée officielle et le reste pourrait être attribué à la guérilla. En effet, la majorité des enlèvements contre rançon est le fait de délinquants. Ces bilans n'empêchent pas la majorité des journalistes de prétendre que les enlèvements sont le fait de la seule guérilla.

Le président Uribe, qui s'affiche comme voulant en finir avec la guérilla, a surtout tenté de légaliser les paramilitaires. Une commission devait les démobiliser, mais des scandales ont mis en lumière leur rôle dans la corruption et dans des crimes peu pardonnables rendant difficile l'opération.

Si la libération annoncée récemment des trois otages avait abouti, les FARC auraient fait un pas en direction de la libération d'Ingrid Bétancourt. Mais les chances sont minces. Le président Uribe et les intérêts qu'il représente ne sont pas partisans de l'apaisement, dans la mesure où les conflits en cours ont favorisé l'enrichissement des possédants. La présence de la guérilla a plus d'une fois servi de prétexte à l'expropriation des paysans pauvres. C'est dire qu'on est loin d'un règlement politique du conflit avec la guérilla. Et les manoeuvres d'Uribe, dont vraisemblablement le déplacement de troupes gouvernementales vers le lieu présumé de l'échange, ne peuvent qu'aboutir à prolonger volontairement la captivité d'Ingrid Betancourt et des autres otages.

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