La grève des internes des hôpitaux : Quelle médecine et pour qui ?01/11/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/11/une2048.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

La grève des internes des hôpitaux : Quelle médecine et pour qui ?

Lancée fin septembre, la grève des internes s'est poursuivie pendant un mois, dans les hôpitaux et par des manifestations, avec un point culminant le 24 octobre dans les rues de Paris. Cela a fait reculer le gouvernement. Décidément plus sensible aux pressions venant du milieu des médecins qu'à celles venant des travailleurs, celui-ci a fait voter par l'Assemblée nationale un amendement excluant toute mesure de non-conventionnement liée au lieu d'installation des médecins libéraux. Lundi 29 octobre, les syndicats d'internes ont signé avec le ministère un protocole d'accord.

Liberté totale d'installation ?

La revendication phare des internes est restée la liberté d'installation et le refus de toute contrainte les poussant à s'installer dans les banlieues ou les zones rurales manquant le plus de médecins. Les grévistes contestaient les articles qui portaient sur leur conventionnement dans l'actuel projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le gouvernement, lui, aurait voulu qu'avant de conventionner un professionnel de santé libéral, médecin comme infirmière, kinésithérapeute, etc., l'assurance-maladie prenne en compte le nombre de médecins déjà installés dans les zones concernées. Les futurs médecins, eux, veulent conserver la possibilité de s'installer où ils le veulent.

Il est probable que, si cette mesure était passée, bien peu de jeunes médecins auraient renoncé à être conventionnés et à prendre ainsi le risque de trouver une clientèle entièrement non remboursée. Cependant, ils agitaient le spectre du non- conventionnement pour effrayer le public en dénonçant " la médecine à deux vitesses " ou " la médecine à l'américaine ".

Dans les hôpitaux, la plupart des internes grévistes n'ont pas recherché le soutien du reste du personnel hospitalier, ne s'adressant ni aux infirmiers, ni aux aides-soignants, ni aux brancardiers. Ils ne parlaient pas davantage aux administratifs, sauf à ceux qui étaient chargés de leur indiquer leurs assignations. Cet esprit de caste a suscité plus de défiance que de sympathie de la part du personnel. Ainsi, dans une discussion avec des infirmières et aides-soignantes, un interne a fini par reconnaître qu'il ne voulait pas être obligé d'exercer dans une cité car c'est trop dangereux... cité dans laquelle habitent justement une partie des agents hospitaliers.

Néanmoins, des groupes d'internes grévistes sont venus se joindre à la manifestation parisienne du 18 octobre, comme certains l'avaient déjà fait le samedi 13 octobre lors de la manifestation contre les franchises médicales. Ceux-là revendiquaient le fait que, dans leurs assemblées générales, tout en étant une minorité, ils défendaient un point de vue plus général face aux attaques contre la Sécurité sociale, dénonçant les franchises à la charge des malades, le nouveau financement des services hospitaliers selon leur rentabilité et l'État qui se désengage des structures jugées non rentables comme les hôpitaux de campagne, les structures de soins primaires, les établissements psychiatriques. Soucieux du contexte dans lequel ils vont devoir exercer leur métier, cette fraction des internes n'a cependant pas pu changer le caractère de ce mouvement.

Une médecine à plusieurs vitesses.

Les internes des hôpitaux ne peuvent poser leur problème indépendamment de celui du système de santé qui se dégrade. La médecine libérale est déjà une médecine à trois ou quatre vitesses, compensée de plus en plus mal par les établissements publics de santé. La logique de la revendication libérale des internes, " pas de remise en cause de la liberté d'installation ", peut aboutir à ce qu'il n'y ait plus du tout de médecine pour les habitants de certaines zones rurales ou des banlieues populaires.

Le mouvement des internes correspond cependant à un problème réel car, contrairement à ce que prétend le gouvernement, il y a un manque général de médecins et ce n'est pas seulement une question de répartition sur le territoire. Le numerus clausus instauré dans les années 1970 a limité le nombre d'étudiants en médecine, dans le but de limiter les dépenses de santé en limitant l'offre de soins. La réduction du nombre d'internes et de médecins a d'abord pesé sur les hôpitaux. Sans les médecins venus des pays pauvres, ces établissements ne tourneraient plus. Aujourd'hui, cette limitation pèse aussi sur la médecine de ville. La liberté d'installation entraîne inévitablement une inégalité de répartition sur le territoire ainsi qu'une inégalité entre la médecine de ville et l'hôpital, inégalité qui s'aggravera avec les départs en retraite dans les prochaines années.

Pourtant, le numerus clausus a été mis en place avec l'accord des principaux syndicats de médecins, et son principe n'est pas remis en cause par les internes grévistes. Traditionnellement, ces jeunes médecins acceptent d'en " baver " pendant leurs années d'études, y compris en passant par les établissements publics de banlieues pauvres, pour ensuite bien gagner leur vie comme médecins libéraux grâce à une clientèle garantie par la Sécurité sociale. Mais ils veulent pouvoir choisir cette clientèle et leur lieu d'installation. Cette mentalité n'est ni nouvelle ni originale : ils revendiquent à la fois ce qu'ils appellent le libéralisme et la garantie sans faille des fonds publics.

La santé pour tous !

Pour autant, face à eux, le gouvernement n'est pas le défenseur de la santé publique qu'il prétend être. Il voudrait seulement répartir un peu la misère de celle-ci. Pour résoudre le problème du manque de médecins dans certains quartiers et certaines régions, la première mesure devrait être de remettre en cause le numerus clausus pour former tous les médecins dont la société a besoin. Il faudrait aussi éviter leur isolement en assurant l'environnement indispensable que constituent les hôpitaux de proximité, avec laboratoires, services de radiologie, infirmières à domicile, etc. Il faudrait donc d'abord stopper la disparition des services publics à la campagne et celle des dispensaires dans les quartiers populaires. Et surtout, il faudrait que la population ait les moyens de se soigner sans avoir à supporter les déremboursements et les franchises qui l'en empêchent de plus en plus.

Ce serait l'intérêt des jeunes futurs médecins de poser eux aussi la question du système de santé, de façon globale et pas seulement par le biais de leur désir de pouvoir s'installer où ils veulent. Cette liberté d'installation qu'ils défendent, dans une société où une grande partie de la population perd de plus en plus le droit de se soigner, aboutit à réserver de plus en plus la médecine aux couches suffisamment aisées pour en avoir les moyens.

Au contraire, des médecins conscients devraient être avec la population pour défendre son droit à la santé, au côté de l'ensemble des autres personnels du secteur, et en particulier des travailleurs du secteur hospitalier.

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