Guadeloupe-Martinique : L'empoisonnement de toute une population19/09/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/09/une2042.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Guadeloupe-Martinique : L'empoisonnement de toute une population

Le rapport du professeur Belpomme, un cancérologue de réputation mondiale, et la déclaration de recevabilité par la justice d'une plainte pour empoisonnement, déposée par des associations locales, ont brusquement remis d'actualité aux Antilles l'affaire du chlordécone, un pesticide puissant et nocif pour la santé. Le professeur Belpomme n'hésite pas à parler d'un " vrai désastre sanitaire ", " beaucoup plus grave que celui du sang contaminé ".

En effet, ce n'est pas seulement la population actuelle de la Guadeloupe et de la Martinique qui est menacée d'empoisonnement, mais également les générations futures. Car ce produit, utilisé à grande échelle dans les plantations pour lutter contre un parasite de la banane, a non seulement pollué les sols mais également les sources, les rivières et le littoral. Rien qu'en Martinique, 22 500 hectares de terres agricoles seraient gravement contaminés. Et cette pollution s'est installée pour longtemps, du fait que ce produit se dégrade difficilement : sa durée de vie est de l'ordre d'un siècle !

C'est toute la chaîne alimentaire qui est concernée. En effet, ce pesticide se fixe dans les racines et les tubercules plantés sur les terrains où il a été répandu. Cela concerne particulièrement les ignames, la patate douce et les madères, des légumes qui entrent dans l'alimentation de base de la population antillaise. On retrouve également ce produit dans certains poissons et crustacés qui vivent dans les eaux qui en ont été souillées.

Cette pollution est une véritable bombe à retardement. Le danger réside dans le fait que les pesticides sont impliqués dans le déclenchement de certains cancers, qu'ils sont responsables de certaines malformations congénitales et peuvent provoquer des troubles de la reproduction.

Contrairement à ce que voudrait faire croire aujourd'hui le gouvernement, ce scandale n'est pas nouveau. Depuis longtemps, des syndicalistes militant sur les plantations ont dénoncé la nocivité de ce pesticide. Plusieurs rapports scientifiques, notamment en 1977 et en 1980, ont également essayé de tirer un signal d'alarme sur les risques de pollution durable pour l'environnement, mais les pouvoirs publics français ont toujours fait la sourde oreille.

Aujourd'hui, le ministre de l'Outre-mer Estrosi s'apprête à retourner aux Antilles et a promis de diligenter une enquête. À qui fera-t-il croire qu'il n'a pas entendu parler de ce scandale, alors qu'il y a quelques semaines à peine il s'affichait aux côtés des grands planteurs de banane, pour leur apporter le soutien du gouvernement après le passage de l'ouragan Dean ? À qui fera-t-il croire qu'il y a besoin d'une nouvelle mission pour réunir les informations nécessaires ? Le gouvernement voudrait tergiverser qu'il ne s'y prendrait pas autrement.

Pourtant, face à cette pollution majeure, résultat d'une agriculture plus orientée vers le profit que vers le respect de l'environnement et des populations, la population antillaise, elle, attend des mesures concrètes.

Roger MEYNIER

L'extrême toxicité du chlordécone est mondialement reconnue ; il a d'ailleurs été interdit aux États-Unis dès 1976. Mais les autorités françaises, sensibles aux intérêts des groupements de planteurs, ont autorisé son utilisation massive dans les plantations de Martinique et de Guadeloupe à partir des années 1970. Reconnu toxique et cancérogène, et interdit en métropole à partir de 1990, le chlordécone a néanmoins bénéficié de deux dérogations, en mars 1992 puis en février 1993, de la part de deux ministres de l'Agriculture successifs, le socialiste Louis Mermaz et l'actuel UMP Jean-Pierre Soisson.

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