Après le premier tour26/04/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/04/une2021.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Après le premier tour

" C'est une victoire de la démocratie ", voilà l'expression qui, au soir du premier tour de l'élection présidentielle, revenait le plus souvent dans la bouche des trois candidats arrivés en tête et de leurs représentants.

Les commentateurs ont enchaîné sur le même ton dans la presse du lendemain. " Ce fut une double victoire, celle de la démocratie sur elle-même et contre ses extrêmes ", affirmait par exemple Le Monde, reflétant le ton de la presse dans sa quasi-totalité. L'éditorialiste s'est même payé une envolée lyrique sur " cette belle journée d'avril, dans cette France ensoleillée, ses longues files d'électeurs, vieux, jeunes, couples venus avec leurs enfants, tous patients, tous mobilisés, donnant l'image d'un pays serein, citoyen, qui redécouvre la politique, qui se réapproprie l'élection présidentielle... " !

" Un pays serein " ! Il fallait l'oser, avec les trois millions de chômeurs et les régions sinistrées par les fermetures d'entreprises !

Ils sont donc tous contents que les deux candidats, formatés depuis au bas mot six mois pour représenter l'alternative dans cette présidentielle, soient bien arrivés en tête et que ce soit entre eux que les électeurs aient à choisir au deuxième tour. Même la percée d'un Bayrou, politicien bien conformiste, blanchi sous le harnais de gouvernements de droite, qui s'est fabriqué - et à qui l'on a fabriqué - l'image d'un homme " hors du système ", voire contre le système, n'a fait qu'ajouter une pincée d'inattendu dans une si belle fabrication électorale ! Elle a permis en tout cas au PS d'ajouter le nom de Bayrou à celui de Le Pen comme une menace de plus, susceptible de claquer devant le nez de Ségolène Royal la porte d'accès au deuxième tour. C'était une menace inventée, on le voit aujourd'hui, mais cela a permis au PS d'en agiter l'éventualité pour faire passer, sur tout ce qu'on trouvait à sa gauche, le rouleau compresseur du vote utile.

" Une victoire de la démocratie ", cette présidentielle ? Oui, répondront tous ceux qui, en 2002, ont déjà pris pour un sursaut démocratique la grande manipulation de tous les partis, et en particulier du PS et du PC qui, face à la menace inventée et totalement impossible de l'arrivée de Le Pen à la présidence, se sont couchés devant Chirac et l'ont transformé en rempart de la démocratie qu'il fallait soutenir. Avec le résultat que l'on sait : Chirac, élu avec 82 % des voix, a installé successivement deux gouvernements parmi les plus réactionnaires de ce pays, qui ont eu les mains libres pour porter au monde du travail tous les coups qu'ils ont portés.

Dans cette optique déformée, le recul très net, en effet, de l'électorat de Le Pen est présenté comme une des composantes de cette victoire de la démocratie. Mais ce recul s'est fait au profit de Sarkozy et sur la base de l'alignement de celui-ci sur les idées de Le Pen. Ces idées n'avaient aucune chance de s'installer à l'Élysée avec Le Pen. Mais avec Sarkozy, c'est une menace réelle.

" Une victoire de la démocratie ", que d'avoir réduit, grâce au chantage au vote utile, la plupart de ceux qui étaient sur la gauche du PS, l'électorat d'Arlette Laguiller bien sûr mais aussi celui du PC ?

Bien sûr, Ségolène Royal affronte le deuxième tour et le duel avec Sarkozy en ayant réalisé un score record, non seulement en récupérant l'électorat perdu par Jospin en 2002 mais même en dépassant le score de Jospin en 1995, et cela malgré la concurrence de Bayrou. Mais cela ne suffit pas pour autant pour remporter le deuxième tour face à Sarkozy. La progression de Ségolène Royal ne s'est pas faite au détriment de la droite, même pas au détriment de ce centre-droit dont Bayrou est le chef de file, puisque ce n'est pas une fraction de l'électorat de l'UDF qui est allée voter Ségolène Royal mais une fraction de l'électorat possible du PS qui a voté pour Bayrou.

C'est un signe des temps que le PS, qui sait manier le mensonge du vote utile depuis longtemps et l'a fait en particulier pendant cette présidentielle, en soit devenu, dans une certaine mesure, la victime. Bayrou ne s'est pas gêné d'évoquer les sondages qui, en cas de présence au deuxième tour, lui donnaient plus de chances de battre Sarkozy qu'à Ségolène Royal.

Comme tout à fait prévisible cependant, Ségolène Royal est présente au deuxième tour. Mais, considérant qu'elle est à l'abri sur sa gauche, elle va développer, elle développera toujours plus une politique en direction de l'électorat de Bayrou, malgré ses remerciements affichés vis-à-vis des Verts, du PC et de l'extrême gauche. C'est à cet électorat qu'elle cherchera à donner des gages.

Les élections, même présidentielles, n'ont pas la capacité de changer la vie, mais elles sont des thermomètres. Et cette présidentielle n'indique pas une démocratisation plus grande, mais, au contraire, une évolution vers la droite et surtout une perte d'un certain nombre de repères à gauche, la perte d'un certain nombre de valeurs propres au mouvement ouvrier.

Alors, s'il est normal, s'il est légitime qu'une majorité de travailleurs veuillent empêcher Sarkozy de s'installer à la présidence, aspiration dont nous sommes solidaires, il ne faut pas oublier la responsabilité du PS mais aussi de son allié le PC, les déceptions engendrées par leur présence durant cinq ans, de 1997 à 2002, dans un au gouvernement qui a déçu, dans la désorientation du monde du travail face aux problèmes politiques.

Mais c'est la vie même, ce sont les coups que le patronat continuera à porter à la classe ouvrière, avec l'aide du gouvernement quel qu'il soit, qui ramèneront la classe ouvrière sur le chemin de la lutte des classes, mais aussi à la conscience que, face au patronat imposant violemment ses intérêts, il faut que les travailleurs se défendent avec la conscience claire de leurs intérêts politiques qui sont, aussi, ceux de l'ensemble des classes populaires.

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