Grand serviteur de l'État et sinistre crapule.22/02/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/02/une2012.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Grand serviteur de l'État et sinistre crapule.

Emportées par la volonté de convaincre les électeurs que, dans la présidentielle, seul compte le deuxième tour et qu'il se jouera obligatoirement entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, la presse et la télévision donnent dans le superlatif pour qualifier l'enjeu de ce choix. Entre le candidat de l'UMP et la candidate socialiste, c'est plus qu'une opposition politique, a écrit un grand quotidien, c'est une " opposition de société ". Ben voyons !

Il faut bien que la télévision et la presse s'extasient pour donner aux électeurs l'impression qu'avec leur bulletin de vote, ils ont entre leurs mains l'avenir du pays comme leur propre sort, alors pourtant que les deux partis que représentent les deux candidats se relayent au pouvoir depuis un quart de siècle sans que les alternances changent la vie des classes populaires, si ce n'est chaque fois en mal.

Changer la société en changeant de président ? C'est une plaisanterie. D'abord parce que, dans le domaine économique, ce n'est ni le président de la République ni le gouvernement qui commandent. Ce sont les grands groupes financiers. Ils peuvent licencier, délocaliser ou supprimer des emplois comme ils veulent, comme sont en train de le faire deux des plus puissantes entreprises du pays, Alcatel-Lucent et Airbus.

Mais, même dans le domaine politique, si on élit le président de la République, on n'élit pas les hauts fonctionnaires qui exécutent les hautes et basses oeuvres de l'État et en assurent la continuité.

L'homme qui vient de mourir, Papon, est un bel exemple de ces hauts fonctionnaires qui traversent les mandatures présidentielles et même les régimes, représentant l'État sous les uns comme sous les autres. Haut fonctionnaire déjà au temps du gouvernement du Front populaire, il s'était mis sans état d'âme au service du régime de Pétain. La guerre terminée, pourvu d'un certificat de résistance, il avait entamé une belle carrière sous la quatrième puis sous la cinquième République. Préfet en Algérie en pleine guerre, préfet de police de Paris, il était devenu député et ministre sous Giscard.

Papon n'avait fini par être condamné pour son rôle dans la déportation de Juifs lorsqu'il était, sous Pétain, secrétaire à la préfecture de Bordeaux, qu'à la suite d'une infinité de procédures. Mais il n'avait pas accompli sa peine de dix ans car il avait été libéré pour raisons de santé en 2002. Il n'était pourtant pas à l'agonie, il était même sorti sur ses jambes.

Papon avait sur la conscience non seulement les Juifs déportés, mais aussi on n'a jamais su combien d'Algériens massacrés lors d'une manifestation, interdite certes mais tout à fait pacifique, le 17 octobre 1961 à Paris, lorsqu'il était préfet de police. Il était aussi responsable de la mort de neuf manifestants communistes, du fait de sa police, au métro Charonne en février 1962.

C'est dire qu'autant la justice que tous les dirigeants politiques qui ont couvert et employé Papon après la guerre ont fait preuve d'une grande mansuétude vis-à-vis de lui. On ne peut pas dire qu'ils font preuve de la même vis-à-vis de Nathalie Ménigon qui a subi deux attaques cérébrales et est devenue hémiplégique et à laquelle on refuse toujours d'aller mourir chez elle. Bien sûr, elle a assassiné le patron de Renault et le général Audran. Mais, à côté de tout ce qu'a fait Papon, cela n'est vraiment pas comparable.

Deux poids et deux mesures, mais cela montre aussi l'indulgence de nos dirigeants envers ceux qu'ils appellent les loyaux serviteurs de l'État avec, par contre, une haine éternelle envers ceux qui ont eu le tort de s'opposer à l'État.

Tous les hauts fonctionnaires n'ont évidemment pas le passé de Papon car c'est aussi une question d'âge. Mais, au moment où on nous jette de la poudre aux yeux pour nous convaincre que le choix d'un président est déterminant pour l'avenir, il est utile de se rappeler que les présidents passent, les régimes se succèdent, mais l'appareil d'État et ses hauts fonctionnaires restent.

Arlette LAGUILLER.

Éditorial des bulletins d'entreprise du 19 février.

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