Acte de barbarie à la maison d’arrêt de Rouen : Hôpital malade, prisons malades, société malade10/01/20072007Journal/medias/journalnumero/images/2007/01/une2006.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Acte de barbarie à la maison d’arrêt de Rouen : Hôpital malade, prisons malades, société malade

Le meurtre, suivi d'actes de cannibalisme, perpétré le 27 décembre par un détenu de la prison de Rouen à l'encontre de l'un de ses codétenus a de quoi faire frémir d'horreur, évidemment. Mais au-delà du fait, c'est l'arrière-plan mis en lumière par l'affaire qui provoque l'indignation.

L'homme, avant son incarcération pour tentative de viol, avait déjà été condamné et emprisonné plusieurs fois, vivotant entre les épisodes de prison, à l'aide du RMI et de la «manche» dans les rues de Rouen. Il avait déjà effectué, lors d'une période de liberté, deux séjours de quinze jours en psychiatrie. Plus encore, une expertise avait déjà diagnostiqué sa schizophrénie et révélé, selon son avocat, «des antécédents psychiatriques importants». Un juge d'instruction avait conseillé qu'il soit placé en isolement.

Et ce n'est pas un cas isolé. Une étude récente des directions de l'administration pénitentiaire et de la santé estime que les malades mentaux représentent 24% de la population des prisons, sur 59000 détenus actuellement, parmi lesquels 8% de schizophrènes, qui ont perdu tout contact avec la réalité et peuvent devenir dangereux à tout moment.

Pourquoi ces malades sont-ils en prison, au lieu de bénéficier des soins nécessaires?

Entre 1970 et 1990, 88000 lits ont été fermés dans les hôpitaux spécialisés comme dans les services psychiatriques des hôpitaux généraux. Les gouvernements successifs, s'appuyant sur un courant dit «antipsychiatrique» qui condamnait certains aspects odieux des asiles où étaient enfermés les malades, ont réduit les crédits, fait fondre le personnel encadrant, supprimé le diplôme d'infirmier spécialisé. Loin d'envisager des structures extérieures susceptibles de compenser le vide laissé auprès des malades mentaux, leur but était de diminuer le coût de la maladie en abandonnant des malades, parfois après des années passées au sein de l'hôpital, munis d'un traitement chimique -qu'ils absorbaient ou non- et de l'adresse de l'hôpital en cas de crise aiguë.

Toujours malades, même «dehors», ils sont nombreux à se retrouver marginalisés, sans abri, sans ressources, itinéraire qui les mène parfois aussi en prison, à la suite d'une procédure de comparution immédiate où une expertise psychiatrique n'est ni obligatoire ni même souvent requise. Il ne reste alors plus qu'à leur reconnaître une responsabilité pénale, même «altérée», et à envoyer ces malades en prison...

Tout ceci ajoute à l'état honteux des prisons du pays. La surpopulation y fait se côtoyer des prévenus que la justice en panne n'a pas encore jugés, des délinquants, des criminels, des étrangers sans papiers et des malades. Tous sont condamnés en tout cas à y survivre dans des conditions indécentes, la plupart du temps dans une promiscuité insupportable. Loin de permettre aux détenus une quelconque réinsertion professionnelle et sociale, ce qui devrait être avant tout son rôle, la prison est le plus souvent une machine à aggraver les injustices, à transformer de petits délinquants en grands, quand elle ne suscite pas des horreurs comme à Rouen.

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