Pinochet : Quand la droite française «comprenait» les putschistes14/12/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/12/une2002.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pinochet : Quand la droite française «comprenait» les putschistes

Médias et hommes politiques de tout bord semblent s'être donné le mot pour dénoncer aujourd'hui le dictateur Pinochet et la férocité de son putsch. Pourtant, à l'époque du coup d'État, les médias et le monde politique étaient beaucoup moins nets.

La télévision n'avait alors que trois chaînes. Les téléspectateurs de la première n'eurent d'abord droit qu'à beaucoup de silence ou au point de vue des putschistes. Il fallut attendre quinze jours pour que les téléspectateurs de la troisième chaîne (une minorité) puissent voir un reportage plus proche de la vérité, et près d'un mois pour la deuxième chaîne...

Si les partis de l'Union de la Gauche, PS et PCF, et les journaux qui la soutenaient comme, par exemple, Le Nouvel Observateur, dénoncèrent le putsch, Mitterrand prit cependant la précaution de déconseiller aux parlementaires de son camp de manifester leur réprobation dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

Au centre, Jean-Jacques Servan-Schreiber, en qui certains veulent voir un «Kennedy français» comme cela s'est écrit à l'occasion de sa mort récente, était surtout préoccupé d'écarter la responsabilité des États-Unis dans le putsch.

À droite, le président de la République d'alors, Georges Pompidou, se contenta d'un message de condoléances à la veuve d'Allende. Son chef de gouvernement, Pierre Messmer, resta muet pendant trois jours. Quand il prit la parole, ce fut d'abord pour s'indigner que le porte-parole du PCF ait souligné que son gouvernement était d'autant plus discret sur le putsch chilien que la cinquième République était elle-même issue d'un putsch en 1958...

Le lendemain, Messmer déclarait dans une conférence de presse qu'«il y a une tradition que la cinquième République a toujours respectée, et qui veut que le gouvernement ne prononce pas d'appréciation sur ce qui s'est passé dans un pays étranger en matière de politique intérieure». Certains, à droite, s'exprimèrent un peu plus, Alain Peyrefitte ou... Maurice Papon, alors député gaulliste du Cher et rapporteur du budget. Il y eut quelques larmes de crocodiles mais, en gros, Allende n'avait pas volé ce qui lui était arrivé; n'avait-il pas essayé de marier «l'eau et le feu»? expliqua Peyrefitte.

De Papon, on ne savait pas encore qu'il avait organisé à la préfecture de Bordeaux la déportation de Juifs sous Vichy, mais il était connu pour son rôle, en tant que préfet de police de Paris, dans la répression de la manifestation des Algériens, le 17 octobre 1961. Ayant visité le Chili d'Allende dans une délégation parlementaire, il livra ses «réflexions» au quotidien Le Monde et sa compréhension des motifs des militaires chiliens. Un point de vue d'expert, en quelque sorte... Pour Papon, les putschistes avaient été patients, ils avaient un temps accompagné Allende mais l'armée devait-elle «assister impuissante à la décrépitude nationale qui se précipitait? Risquer d'être associée sans le vouloir à des entreprises dont l'opposition [la droite chilienne] dénonçait avec véhémence l'illégalité? (...) Fallait-il attendre l'élection présidentielle de 1976 devant une réalité économique et sociale qui n'accordait aucun sursis et plongeait chaque jour davantage le pays dans la ruine et le dénuement, menaçant sa cohésion et son unité? Fallait-il risquer l'échéance d'une guerre civile dont seule l'armée pouvait préserver le pays?». Ainsi Papon justifiait les putschistes...

Du côté du Vatican, le pape PaulVI souligna la «gravité de la situation» tout en ne dénonçant pas le putsch. Son successeur, Jean-PaulII, fut moins prudent. Vingt ans après, il écrivit à Pinochet, à l'occasion des noces d'or de celui-ci, une lettre dans laquelle il était question d'«amitié», d'«estime», de «souvenir ému» et d'une «bienveillance particulière» à l'égard du dictateur. Pour ce pape, le responsable du coup d'État, avec ses assassinats, ses disparitions, ses tortures et ses emprisonnements et des années de misère pour la population chilienne, méritait ce qu'il appela une «bénédiction apostolique spéciale»!

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