Oaxaca : Quand les autorités perdent le gouvernail08/11/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/11/une1997.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Oaxaca : Quand les autorités perdent le gouvernail

Dimanche 5novembre, une manifestation rassemblait encore des dizaines de milliers de personnes à Oaxaca. Cette capitale d'un des trois États les plus pauvres du Mexique connaît depuis plus de cinq mois une situation insurrectionnelle. Depuis le 29octobre, la police fédérale a pourtant repris le contrôle du centre de la ville. Mais le mouvement n'est peut-être pas éteint pour autant, comme pourrait le montrer la dernière manifestation.

La répression met le feu aux poudres

C'est par une grève des enseignants que l'insurrection a commencé. Le 22 mai dernier, une section particulièrement remuante du pourtant très institutionnel Syndicat national des travailleurs de l'éducation (SNTE), la «section XXII», appelle à une grève pour exiger des augmentations des salaires et de leurs moyens. Cette mobilisation de mai est une tradition depuis les années 1980, mais le succès est cette fois exceptionnel: des dizaines de milliers d'enseignants répondent à l'appel. Les grévistes occupent le «zocalo», le centre historique de la ville. Après trois semaines, les autorités tentent d'en finir: le 14 juin, le gouverneur de l'État d'Oaxaca, Ulises Ruiz Ortiz, donne l'ordre de déloger ceux qui «gâchent la beauté du site», comme le déplorent les patrons du tourisme. Deux mille policiers, des hélicoptères et des tirs à balles réelles font plus de 200 blessés.

Cette violence met au contraire le feu aux poudres: les grévistes ripostent en dressant des centaines de barricades et prennent d'assaut des bâtiments publics, voire des banques ou des grandes surfaces. Sans oublier le palais gouvernemental: pendant plusieurs mois, le congrès de l'État d'Oaxaca devra se résigner à se réunir discrètement dans des hôtels... Les étudiants font de leur université un QG du mouvement. Des radios locales, réquisitionnées, émettent des programmes réalisés par et pour les grévistes. Le mouvement s'étend aux villes voisines, où une trentaine de mairies sont occupées. Les enseignants, avec leurs revendications sociales, exigent désormais la démission du gouverneur Ruiz.

Tenues en respect, les forces de l'ordre du district fédéral encerclent la ville. Elles tentent de lever les barricades à plusieurs reprises, mais elles se heurtent à la résistance des grévistes. Des affrontements violents, contre la police mais aussi contre des groupes paramilitaires liés à Ruiz, feront une quinzaine de morts jusqu'à la fin octobre. Les batailles de rue permettront aux flics d'arrêter quelques grévistes... et réciproquement.

L'APPO et la direction du mouvement

À partir du 14 juin, l'Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO) prend la tête du mouvement. Elle réunit plus de 350organisations, extrêmement diverses: syndicats, mouvements écologistes, associations de défenses des droits de l'homme... On y trouve des organisations d'extrême gauche, mais aussi des partis de la gauche réformiste la plus établie, comme le PRD (Parti de la révolution démocratique). L'organisation qui semble avoir le plus de poids semble être la fameuse «section XXII» du SNTE.

L'APPO organise la résistance et gère le quotidien. D'impressionnantes megamarchas rassemblent jusqu'à 800000 personnes selon les organisateurs (pour une ville qui en compte 300000) venues de toute la région. Les enseignants grévistes bénéficient visiblement du soutien d'une grosse majorité de la population, qui exprime sa haine d'un pouvoir corrompu et brutal, personnifié par Ruiz.

Mais la revendication de démission du gouverneur, qui rend la grève très politique, fixe aussi ses limites. Le mouvement ne parvient pas de fait à déborder les frontières du district d'Oaxaca. Il faut dire que les partis nationaux ne font rien pour. Le PRD est tout à sa protestation contre la fraude dont aurait été victime en juillet son candidat malheureux à la présidentielle, Obrador, qui reste extrêmement discret à propos d'Oaxaca. Quant aux syndicats, le SNTE se désolidarise partiellement de sa «section XXII».

Le 26 octobre un vote des enseignants grévistes décide la reprise du travail, à 30000 contre 20000. Le lendemain, des hommes de main de Ruiz s'attaquent aux barricades de l'APPO, faisant trois morts. Et le 29 octobre, le président de droite Fox (un proche de Georges Bush) a envoyé sa police reprendre la ville. Les grévistes se sont retranchés dans la cité universitaire. Dans le même temps, Fox essayait de négocier avec les syndicats locaux d'enseignants, et une majorité de députés mexicains demandaient même la démission de Ruiz en signe d'apaisement.

Le pouvoir ne voulait sans doute pas donner satisfaction à la population lorsqu'elle était mobilisée et organisée. Faire sauter le fusible Ruiz, qui appartient au PRI, parti aujourd'hui dans l'opposition, ne le gênerait sans doute pas outre mesure. Mais s'il l'envisage maintenant, alors qu'il ne craint plus, semble-t-il, une extension imminente de la mobilisation d'Oaxaca, c'est le signe qu'il ne croit pas le danger totalement écarté et cherche un moyen de ramener le calme sans avoir l'air de céder à la pression de la rue. C'est en effet la situation sociale de tout le Mexique qui semble se tendre. Des grèves dures ont eu lieu dans le pays depuis le début de l'année, comme celle des mineurs de Lazaro Cardenas, ou celle des 10000 ouvriers de Volkswagen à Puebla en août. La révolte d'Oaxaca, où la population a fait perdre le gouvernail aux autorités locales pendant cinq mois, n'est peut-être que le signe le plus spectaculaire d'une colère bien plus large.

Benoît MARCHAND

Convergences Révolutionnaires n° 47 (septembre-octobre 2006)

Bimestriel publié par la Fraction

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