Les cent ans du ministère du Travail : La volonté permanente des gouvernants d’entraver la contestation ouvrière08/11/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/11/une1997.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Les cent ans du ministère du Travail : La volonté permanente des gouvernants d’entraver la contestation ouvrière

Les représentants du gouvernement, les dirigeants des centrales syndicales et du patronat étaient aimablement réunis au Carrousel du Louvre, à Paris, le 25 octobre, pour «fêter» les cent ans de la création du ministère du Travail. Pendant ce temps, quelques centaines d'inspecteurs du travail manifestaient à proximité pour protester contre la limitation programmée de leur mission de contrôle des employeurs.

Car si les pouvoirs des inspecteurs du travail pour imposer aux patrons ne serait-ce que le respect de la loi sont déjà bien limités, sans parler de la complaisance de certains d'entre eux envers les chefs d'entreprises, tout cela est encore trop pour le gouvernement. Mais c'est bien dans la logique des choses, car si ce ministère a été créé, ce ne fut pas en vue d'agir contre les capitalistes, mais comme un outil dans les mains des gouvernements, derrière le paravent fumeux de «la protection sociale», pour défendre les seuls intérêts du capital.

Le ministère du «premier flic de France»

Le 25 octobre 1906, à la suite de la nouvelle victoire électorale d'un «Bloc des gauches», dont le Parti Radical était la principale composante, Clemenceau se retrouvait président du Conseil, tout en gardant le poste de ministre de l'Intérieur. Ce n'était pas qu'un symbole, car la première tâche que se fixait son gouvernement était de renforcer son action pour contrer le mouvement ouvrier et la CGT. C'est pour cela qu'à côté de l'ex-dirigeant socialiste Aristide Briand, devenu pour la première fois ministre quelques mois auparavant, Clemenceau fit entrer un autre transfuge socialiste, Viviani, en lui confiant le nouveau ministère du Travail, qu'il venait de mettre sur pied.

C'est que l'année 1906 était une année de formidable montée du mouvement ouvrier. Grève de six semaines des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, suite à la catastrophe de Courrières qui avait fait plus de 1000 morts. Grèves se développant partout dans le pays à partir du 1er mai sous le mot d'ordre lancé par la CGT: «À partir du 1er mai 1906, on ne travaille plus que huit heures.» Ce fut l'année où le nombre de jours de grèves fut le plus important, et cela jusqu'à la guerre de 1914. Partout, la CGT, dirigée par les syndicalistes révolutionnaires, était à la tête des luttes.

Pour le leader de la gauche parlementaire, Clemenceau, il s'agissait d'abord de rétablir l'ordre bourgeois. Il s'était fait appeler «le premier flic de France»: des dizaines de milliers de soldats furent envoyés pour mater la grève des mineurs; soixante mille hommes de troupe furent massés dans Paris le 1er mai 1906; les dirigeants CGT des mineurs furent arrêtés et envoyés en prison; les dirigeants confédéraux de la CGT emprisonnés et accusés d'un complot fantaisiste par le gouvernement à la veille du premier mai.

Des lois dites sociales...

Parallèlement à cette répression, la création du ministère du Travail visait à essayer d'endormir les travailleurs en leur faisant croire que l'État pouvait veiller à leurs intérêts.

Pour essayer de stopper la lutte pour les huit heures, il fit adopter une loi sur le repos hebdomadaire obligatoire, c'est-à-dire interdire le travail en continu sept jour sur sept. Mais le ministre du Travail s'empressa d'envoyer une directive demandant aux inspecteurs du travail de n'appliquer ce texte que très progressivement, en clair, de tout faire pour retarder sur le terrain l'application de cette loi dont il s'était vanté devant l'opinion. Il fit aussi voter une loi sur les retraites par capitalisation à 65 ans (alors que la moyenne de vie était bien inférieure), qui consistait surtout à faire cotiser les travailleurs et donc à baisser les salaires. Loi que la CGT combattit en parlant de «la retraite des morts». Et en ce qui concerne les «médiations» des inspecteurs du travail et des préfets dans les luttes ouvrières, elles se faisaient systématiquement en faveur des patrons.

Quant à la tentative d'acheter les dirigeants ouvriers en les intégrant à l'appareil d'État elle capota... à cette époque. La montée ouvrière d'un côté et de l'autre la détermination des dirigeants de la CGT, qui maintenaient le cap révolutionnaire en dénonçant devant toute la classe ouvrière la politique de «ces renégats», firent échouer ce plan. Du moins pour un temps.

... au retourà la répression

Alors le gouvernement en revint à la répression: révocation de plusieurs centaines de postiers qui avaient essayé de former un syndicat CGT; lock-out de six mois, avec l'appui du gouvernement, des 15000 grévistes de la chaussure à Fougères; envoi de la troupe à Nantes contre les dockers en grève; répression contre les électriciens en grève, etc. Quant aux dirigeants syndicaux indociles, qui refusaient de vendre les travailleurs, ils allaient retourner encore en prison, à chaque mouvement de quelque importance. Mais cela fut impuissant à stopper la marche en avant des travailleurs, qui imposèrent encore bien des reculs au patronat et au gouvernement.

Il faudra attendre les trahisons réitérées, de 1914 à aujourd'hui, des directions syndicales, leur intégration à la machine étatique et leur passage dans le camp des défenseurs de la société capitaliste, pour présenter «l'arbitrage de l'État» que symbolise le ministère du Travail comme un «acquis» pour les travailleurs. Le ministère du Travail a été, est et restera un outil dans les mains des gouvernants pour défendre, par la petite carotte ou le gros bâton, les seuls intérêts du patronat.

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