Serbie – Monténégro : L’indépendance pour le profit d’une petite clique dirigeante24/05/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/05/une1973.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Serbie – Monténégro : L’indépendance pour le profit d’une petite clique dirigeante

Selon les résultats annoncés (87% de participation, 55,4% de «oui» pour se séparer de la Serbie), le référendum du 21 mai au Monténégro va aboutir à l'indépendance de ce pays de 700000 habitants. L'État de Serbie-et-Monténégro, créé en 2003 sur les ruines de la Yougoslavie, n'aura donc existé que trois ans. Et rien ne dit que le processus de décomposition de l'ancien État fédéral yougoslave soit parvenu à son terme. Il pourrait même être réactivé, en une nouvelle réaction en chaîne des nationalismes et irrédentismes de toutes sortes dans une bonne partie de l'ex-Yougoslavie.

Ce processus a commencé, en 1991, par la déclaration d'indépendance de la Slovénie, puis par celles de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine, la guerre embrasant la région pendant plusieurs années et faisant des centaines de milliers de morts, essentiellement civils. Seule la Macédoine obtint alors son indépendance de façon pacifique. Mais la guerre la rattrapa en 2001. Des affrontements opposèrent alors la minorité albanaise aux autorités slaves, sur fond de sécession de fait de la majorité albanophone du Kosovo limitrophe, une province relevant en théorie de la Serbie.

Administré par l'ONU depuis l'intervention militaire occidentale contre la Serbie en 1999, le Kosovo réclame toujours que son indépendance de fait soit reconnue par les puissances occidentales, jusqu'alors réticentes. Les indépendantistes kosovars ne peuvent bien sûr qu'espérer tirer parti de l'éclatement de l'État serbo-monténégrin pour tenter d'amener les dirigeants européens à accepter, bon gré mal gré, un nouvel État sur le continent.

Mais ces mêmes dirigeants européens ont de bonnes raisons de craindre qu'un Kosovo indépendant déstabilise le fragile équilibre institutionnel mis en place, sous l'égide de l'ONU et de l'Union européenne, dans la Macédoine voisine après les affrontements de 2001. Et l'émergence d'un micro-État monténégrin pourrait avoir d'autres répercussions dans la région. À l'autre bout de la Serbie, la région autonome de Voïvodine, où existent une très forte minorité hongroise et diverses autres minorités nationales (croate, roumaine, ukrainienne, etc.), pourrait à son tour être affectée par cet «effet dominos». Quant à la Bosnie-Herzégovine, séparée après une guerre civile atroce lors des accords de Dayton en une Fédération croato-musulmane et une République serbe, elle pourrait éclater en deux, sinon trois entités distinctes, non plus seulement de fait mais de droit.

Les grandes puissances impérialistes, au premier chef européennes, avaient, au tournant des années quatre-vingt-dix, soutenu des cliques rivales à la tête des différentes républiques yougoslaves. Cela n'avait pas peu contribué à faire éclater la Yougoslavie. Cela avait, du même coup, jeté les nombreux peuples entremêlés de cette région des Balkans dans une sanglante spirale de massacres.

Les appétits d'une petite clique

Ayant, par leurs intérêts égoïstes et leurs rivalités, aidé à déstabiliser cette partie du continent, les grandes puissances ont tenté par la suite de geler les rapports de forces, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Macédoine, au Monténégro. Dans ce dernier cas, l'Union européenne avait tenté d'imposer en 2003 aux dirigeants monténégrins le maintien d'un cadre commun avec la Serbie. Car, dès 1991, les dirigeants du Monténégro avaient, comme les autres cliques dirigeantes de Yougoslavie, cherché à tirer le plus grand parti de l'éclatement de l'État fédéral. En fait, Serbie-et-Monténégro ou pas, ils avaient de plus en plus joué leur propre carte. Dans la dernière période, ils avaient soutenu l'intervention armée de l'ONU contre la Serbie. Ils avaient dressé des douanes intérieures, avec des tarifs protectionnistes. Ils avaient créé leurs propres institutions indépendantes et refusaient de siéger dans un Parlement commun. C'est le mark allemand, puis l'euro qu'ils avaient choisis comme monnaie, afin de se distinguer du dinar serbe. Les dirigeants monténégrins avaient également négocié leur adhésion séparée de celle de la Serbie à l'Organisation mondiale du commerce, et ouvert leurs propres représentations commerciales à l'étranger.

Avoir l'exclusivité du contrôle des richesses nationales, et plus encore des trafics de drogue, d'armes, de tabac, d'êtres humains qui transitent par le littoral monténégrin, c'est cela d'abord qui explique la volonté des dirigeants monténégrins de se constituer en État indépendant.

L'adhésion à l'Union européenne qu'ils font miroiter, leur démagogie sur les petits pays qui, tels Monaco, le Luxembourg ou le Liechtenstein, seraient forcément prospères, cela c'est pour la galerie. Pour justifier leur indépendantisme, ils auraient en effet grand mal à inventer de façon crédible de fortes différences avec la Serbie quand les habitants du Monténégro, qui sont de langue et de culture serbes, savent que le royaume local d'avant 1918, très invoqué dans la campagne référendaire, n'était qu'une principauté serbe ayant échappé au joug ottoman. Mais ce qui a probablement été déterminant pour une majorité, pas bien grande, de l'électorat, c'est l'envie d'échapper à sa misère actuelle. Une misère qui résulte de l'effondrement de la Yougoslavie, mais aussi de la façon dont les autorités européennes continuent de traiter la Serbie, ou plutôt ses populations, en invoquant hypocritement les crimes indéniables des dirigeants serbes et en passant sous silence ceux de leurs homologues d'autres nationalités. Alors, évidemment, des électeurs monténégrins ont pu penser échapper à cela en rompant avec la Serbie.

Mais ils n'en auront pas rompu pour autant avec leurs dirigeants qui, à défaut de transformer le Monténégro, comme ils le promettent, en paradis pour touristes, en ont fait un petit paradis pour eux-mêmes. Et au rythme auquel ils privatisent l'économie, il pourrait bientôt ne plus rester grand-chose à voler dans le pays. Opérateur téléphonique, flotte ex-yougoslave, infrastructures de tourisme, rares industries... tout y passe. Et c'est tout un symbole qu'en 2005 les autorités aient ainsi vendu, pour 59millions de dollars, les deux tiers du capital du seul géant industriel local, KAP, qui produit de l'aluminium et qui compte à lui seul pour moitié dans le produit intérieur brut du pays!

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