Naufrages : Les profits d’abord08/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1958.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Naufrages : Les profits d’abord

Après la mort de près d'un millier de passagers, dans le naufrage d'un ferry égyptien en mer Rouge, des manifestants en colère s'en sont pris, le 6 février, aux locaux de la compagnie.

Les rescapés ont souligné qu'un incendie avait fait rage pendant des heures avant que le bateau sombre. Ils ont aussi fait état du nombre insuffisant de canots de sauvetage, accusation reprise officiellement par le porte-parole du président égyptien, Hosni Moubarak. Pire, la presse égyptienne a dénoncé l'état des ferries qui sillonnent la mer Rouge dans des conditions de sécurité déplorables car trop vieux, mal entretenus, mal équipés, parfois surchargés et aux équipages souvent mal formés. Combien parmi eux avaient déjà servi dans les pays riches avant d'entamer une deuxième vie, dans ces conditions de sécurité dégradées? C'est le cas du navire naufragé, le Boccacio construit en 1970 par un chantier près de Naples pour le compte de la compagnie italienne Tirrenia.

Après vingt-huit ans de navigation entre le port de Rome et la Sardaigne, la compagnie propriétaire l'avait vendu à une compagnie égyptienne. Il avait pris le nom de Al-Salam Boccacio. Entre-temps, deux ponts avaient été ajoutés, surélevant le ferry de sept mètres. Tout en offrant plus de prise au vent, cette transformation avait créé des problèmes de stabilité en relevant le centre de gravité: «Quand vous ajoutez de la hauteur sur un bateau, les risques de tangage sont majeurs. Les stabilisateurs étaient très efficaces, mais ils devaient être dirigés avec attention. En cas de mer agitée par exemple, ils peuvent au contraire avoir un effet déstabilisateur», expliquait l'ex-commandant italien de ce navire. Ces risques n'ont pas arrêté les propriétaires de Tirrenia, pas plus qu'ils n'ont empêché la société italienne de classification Rina d'accorder à ce ferry égyptien l'autorisation de naviguer, comme elle l'avait fait aussi pour l'Erika responsable d'une gigantesque marée noire.

Les naufrages sont particulièrement nombreux dans les pays pauvres. Mais ils se produisent aussi dans des pays riches car, même lorsque la vétusté n'est pas en cause, la course à la rentabilité financière entraîne une réduction de l'entretien à laquelle s'ajoute un nombre maximum de rotations, à l'origine du naufrage du car-ferry Herald-of-free-Enterprise, chaviré à la sortie du port de Zeebrugge en Belgique en 1987. Le drame s'était renouvelé sept ans plus tard au large des côtes finlandaises quand 852 personnes périrent dans le naufrage du ferry Estonia.

Selon le journal de la compagnie d'assurance britannique Lloyd's, le navire Al-Salam Boccacio avait été «exclu des eaux européennes» du fait de «son âge, ainsi que son incapacité à se conformer aux règles de sécurité de l'après Estonia».

Ainsi fonctionnent les affaires: un armateur européen a pu vendre son bateau-poubelle à un homologue d'un pays pauvre. Qu'ils transportent du pétrole, des produits chimiques, ou des passagers, ou qu'ils aillent se faire désosser comme le Clemenceau, c'est la même course aveugle vers les profits qui est en cause. Les principaux responsables sont, la plupart du temps, basés dans un petit nombre de pays riches, mais leurs méfaits s'étendent au monde entier.

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