Épidémie de chikungunya à la Réunion : Une réaction tardive01/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1957.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Épidémie de chikungunya à la Réunion : Une réaction tardive

Il aura fallu attendre onze mois après que les premiers cas de chikungunya se soient déclarés à la Réunion, pour qu'enfin les autorités de l'État semblent prendre la mesure du problème. Mais en onze mois, la maladie qui aurait certainement pu être rapidement stoppée si les moyens nécessaires avaient été mis en oeuvre en temps voulu, s'est aujourd'hui fortement développée, au point qu'il s'agit maintenant d'une véritable épidémie.

Fièvre, douleurs articulaires intenses qui peuvent durer jusqu'à trois mois après leur apparition dans les cas les plus sévères, tels sont les symptômes du chikungunya. Ce terme désigne d'ailleurs certaines des caractéristiques de la maladie. En langage swahili il signifie "celui qui est courbé", en raison des douleurs articulaires qui obligent la personne atteinte à adopter cette posture. C'est dire que le chikungunya n'est pas une maladie bénigne. Et même si on n'en meurt pas (sauf les sujets fragilisés par l'âge ou une autre affection), ce que se plaisent à répéter les diverses autorités, sans doute pour justifier la lenteur de leurs interventions, la maladie est suffisamment handicapante pour être redoutée.

La prudence dont a fait preuve Xavier Bertrand, le ministre de la Santé, lors de sa venue dans l'île témoigne bien de la crainte qu'inspire le chikungunya. Lors d'une visite effectuée dans la ville de Saint-Benoît, située dans la partie est de l'île, la plus touchée, le ministre a pris soin de rester couvert. Malgré la chaleur et les regards étonnés, il n'a pas tombé la veste ni ôté la cravate, plus pour se protéger du moustique vecteur de la maladie que par souci d'élégance. Attiré par une chair blanche et grasse, un moustique aurait bien pu faire de Bertrand le premier ministre "chikungunyé" du gouvernement. Lors de sa tournée, y compris dans les couloirs de la clinique de Saint-Benoît, Bertrand était suivi par un de ses collaborateurs qui, le Mousti-cologne à la main, était prêt à intervenir au moindre vol suspect. Et comme deux précautions valent mieux qu'une, les services de la mairie étaient venus le matin même débroussailler et nettoyer une rue que devait emprunter le ministre.

L'actuel renforcement des moyens d'action sera-t-il suffisant pour venir rapidement à bout de l'épidémie? Il faut bien sûr l'espérer. Mais si c'est le cas, cela soulignerait, s'il en était besoin, les responsabilités du gouvernement. Car les moyens qu'il met en oeuvre aujourd'hui: deux millions d'euros supplémentaires, plusieurs équipes médicales venues de France, quatre tonnes d'équipements de démoustiqueurs, des couveuses, des médicaments, du matériel de pédiatrie et 420 militaires qui doivent démoustiquer chez les particuliers étaient tout de même à la portée d'un des pays les plus riches de la planète.

En fait, c'est un laissez-aller dont n'était pas absente une volonté d'économie qui a conduit à la situation présente. Certains laissent entendre que si le gouvernement et les autorités locales n'ont rien fait pendant si longtemps, c'est qu'ils comptaient sur la saison la moins chaude et la plus sèche, l'hiver austral, pour voir la maladie reculer naturellement. Ce ne fut pas le cas. Et aujourd'hui l'épidémie, qui a déjà touché plus de 40000 personnes et fait plus de 5000 nouveaux cas par semaine, nécessite un traitement autrement plus important. Et le fait qu'elle touche dorénavant les zones les plus touristiques de l'île n'est peut-être pas étranger à l'empressement du gouvernement.

Les représentants de la CGT-Santé de la Réunion se sont insurgés, eux qui avaient depuis longtemps alerté les services. L'un d'eux a ainsi déclaré: "La négligence par rapport au virus reste incomprise... Le congrès de l'Union hospitalière, tenu en mars 2005, avait été marqué par l'intervention d'un représentant comorien, qui signalait l'existence du chikungunya. Le médecin inspecteur de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Drass) avait complété ce propos en signalant à son tour que deux cas de chikungunya avaient déjà été révélés dans le sud de la Réunion."

À Mayotte, une île proche de la Grande-Comore où l'épidémie s'était répandue, des moyens de prévention avaient aussitôt été déployés avec 80 agents sur le terrain. Cela a suffi à enrayer la maladie et dans l'île de Mayotte il n'y eut que 64 personnes touchées par le virus. Par contre, à la Réunion, non seulement les choses ont traîné en longueur mais les personnels étaient en nombre très insuffisant pour faire face à la propagation de la maladie. Ceux de la Drass, par exemple, ne sont aujourd'hui que quarante à l'effectif, alors qu'ils étaient encore 160 en 1985.

Mais les grands moyens mis en oeuvre actuellement contre le chikungunya restent tout de même mesurés. Pour l'heure, seules des interventions ponctuelles sont mises en place. Ainsi, il n'est pas prévu d'augmenter comme il se devrait le personnel de la Drass. Quant à la mise en place du service départemental de prophylaxie prévue par l'État et le Conseil général, on en parle encore au conditionnel. Tout cela fait dire à nombre de Réunionnais: "Un ministre n'a jamais tué un moustique."

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