Afghanistan : Un État sous perfusion... et occupation01/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1957.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan : Un État sous perfusion... et occupation

Quatre ans après la chute des talibans, les représentants des grandes puissances se sont retrouvés à Londres, les 31janvier et 1er février, pour renouveler pour les cinq prochaines années le budget de l'Afghanistan, qui dépend pour 90% de bailleurs de fonds internationaux.

Soixante-dix pays et des institutions diverses contribuent, en effet, au financement de cet État ravagé par vingt-cinq ans de guerre civile. Pour tenir la main du président afghan, Hamid Karzaï, étaient présents le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, la secrétaire d'État américaine Condoleezza Rice, et leur hôte, le Premier ministre britannique Tony Blair.

L'aide internationale devrait être d'environ 4,5 milliards de dollars pour 2006. En contrepartie de cet argent, le gouvernement afghan doit en principe construire un "Afghanistan stable et prospère", dont les priorités seraient, selon les bailleurs de fonds, gouverner, développer le pays et assurer la sécurité.

Il est aussi demandé à Karzaï de s'attaquer à la culture du pavot à opium, qui a explosé depuis la chute des talibans et qui représente 87% de la production mondiale de cette drogue. En admettant qu'il en ait la volonté, c'est de toute façon plus facile à dire qu'à faire, puisque la culture de l'opium (dont on tire l'héroïne) représente 60% du produit intérieur brut (PIB) de l'Afghanistan.

Pour la secrétaire d'État américaine, "l'Afghanistan est une formidable success story", mais la réalité est bien moins idyllique. Cet État ne tient que grâce à l'argent des pays étrangers et aux troupes dirigées par l'OTAN, une présence qui doit durer encore cinq ou dix ans. Les États-Unis souhaitent cependant réduire leurs effectifs, en les ramenant de 18000 à 16500 hommes. Ces départs de GI's seraient compensés par les troupes européennes de l'OTAN, qui pourraient passer de 9000 à 15000 hommes.

Cette relève n'est pas sans poser des problèmes. Si la Grande-Bretagne envoie sans sourciller quelque 3000 soldats supplémentaires, les Pays-Bas, qui avaient envisagé un nouveau contingent de 1200 soldats, se font tirer l'oreille. Londres en est réduit à faire la morale aux États européens qui, comme la France, évitent que leurs soldats se trouvent dans les zones d'affrontements.

L'"État afghan" n'existe en effet qu'à Kaboul, la capitale. On y trouve des hôtels de luxe et 4000 résidents étrangers y payent des loyers aussi élevés qu'à Paris, Tokyo ou Londres. Dans le quartier cossu des ambassades, il y a même une importante spéculation immobilière: les villas qui se vendaient une dizaine de milliers de dollars sous les talibans ont vu ensuite leur prix multiplié par mille. Mais les habitants des quartiers populaires doivent vivre pour la plupart sans travail, sans eau et sans électricité.

Pour l'essentiel, les quelque 10 milliards de dollars d'aide reçus depuis quatre ans se sont perdus dans les sables de la corruption. Une armée de consultants s'est abattue sur le pays, se faisant payer 1000 dollars par jour, en prélevant leur dîme sur les chantiers de reconstruction ou en créant des ONG bidons.

Le reste du pays demeure sous la coupe de seigneurs de guerre. L'éparpillement du pouvoir rappelle le Moyen Âge. Auparavant, un commerçant afghan payait une taxe pour faire entrer une marchandise dans le pays; désormais, il doit en payer dans chaque région traversée, ce qui se traduit par un renchérissement des prix tel qu'une économie souterraine a vu le jour, qui génère toutes sortes de trafics, pour la nourriture, les vêtements ou les équipements électroniques.

La sécurité est inexistante dans le sud et l'est du pays. Au mieux, le gouvernement, la police, l'armée, les troupes de l'OTAN ont maintenu un certain statu quo, mais ni les uns ni les autres ne sont venus à bout ni des seigneurs de guerre, ni des trafics.

Le sens de cette conférence, c'est que les États-Unis et leurs satellites européens n'ont d'autre solution que de continuer à investir troupes et argent, s'ils veulent maintenir "l'État afghan" dans leur sphère d'influence. Mais ce n'est pas cela qui permettra de sortir la population de sa misère actuelle. La Banque mondiale a déjà calculé que, même si la croissance de l'Afghanistan se maintient au niveau actuel (8 ou 9% par an), ce qui inclut la culture de l'opium, il faudra dix ans pour doubler les ressources du pays, ce qui représenterait alors 500 dollars par habitant en 2015. Mais même ainsi, l'Afghanistan resterait parmi les pays les plus pauvres du monde.

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