Les fraternisations de Noël 1914 lors de la Première Guerre mondiale22/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1951.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Les fraternisations de Noël 1914 lors de la Première Guerre mondiale

Des documentaires, des articles récents et, surtout, le film Joyeux Noël ont rappelé certaines scènes de fraternisation qui se déroulèrent sur le front autour de Noël 1914.

Mais ces fraternisations ne furent ni limitées à cette période précise ni à des parties de football ou encore à quelques chants de Noël.

Elles posaient le problème de la guerre elle-même, de son bien-fondé, de sa justification, voire de ce que serait la société après.

La guerre impérialiste

La guerre était la traduction militaire de la lutte qui se menait depuis plusieurs décennies entre les différentes puissances impérialistes européennes pour le partage du monde. Ce combat avait débuté par le massacre des peuples des colonies, une à une conquises par la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, la Hollande et par l'Allemagne, arrivée la dernière au banquet des carnassiers par suite de son unification et de son industrialisation tardives.

Ce sont les dirigeants des différents Partis Socialistes qui, passés avec armes et bagages du côté de leur bourgeoisie avec laquelle ils étaient chacun déjà liés par de multiples liens amicaux, culturels... et économiques, qui donnèrent aux gouvernements et aux états-majors, une autorité suffisante sur les travailleurs et les peuples pour imposer, rien qu'en France, le sacrifice inutile de un million six cent mille jeunes hommes. En rejoignant les gouvernements de chaque belligérant au nom de l'union sacrée de toutes les classes sociales, ils s'en firent les complices abjects autant qu'indécents.

À l'époque, les dirigeants socialistes justifièrent leur trahison par le patriotisme qui aurait animé les différentes classes ouvrières. C'est cette fable que reprennent aujourd'hui un certain nombre d'historiens à propos des fraternisations, en faisant croire que le fait qu'il y aurait eu peu d'exemples de tels mouvements est la preuve que les soldats consentaient à cette guerre par "dévouement à leur patrie".

Tout montre en réalité que les militants socialistes, abandonnés par leurs dirigeants et désorientés par leur attitude, n'eurent d'autre choix que de rejoindre leurs unités, convaincus qu'ils n'auraient aucun soutien à l'arrière s'ils désertaient. Quant aux autres soldats, si la propagande chauvine menée dès le plus jeune âge par l'école, puis par les Églises et la presse les avait convaincus d'une victoire rapide et sans douleur, les premiers mois de guerre avaient dissipé ces illusions.

La perte des illusions

Monter à l'assaut chaque jour pour rester accroché aux barbelés sous les obus adverses, les tirs de fusils ou de mitrailleuses, voir tomber ses camarades, les entendre crier leur douleur et appeler leur mère, subir nuit et jour les explosions, les odeurs de sang, de gangrène ou de pourriture, vivre avec une peur permanente ne laissaient aucune place à de telles illusions.

C'est d'ailleurs dans ces premiers mois de guerre que l'état-major français mit aux arrêts pour insoumission le plus grand nombre de soldats. Des centaines furent condamnés, des dizaines fusillés par les conseils de guerre créés dans l'urgence, d'autres exécutés d'une balle dans la nuque par les officiers qui en avaient reçu le pouvoir. Seule la contrainte, la terreur de la hiérarchie et de la justice militaire avaient pu maintenir les armées dans cette horreur.

C'est la raison pour laquelle, des scènes de fraternisation, des gestes de sympathie et d'humanité furent observés durant toute la guerre dès que la pression des états-majors se relâchait.

Un soldat raconte que dans un secteur, les Allemands criaient simplement "mi-temps", quand ils désiraient entendre un chanteur, et les coups de feu cessaient.

"Le chanteur montait sur le rebord de la tranchée et les deux camps l'accompagnaient en choeur. Si un officier apparaissait, d'un côté ou de l'autre, un signal était donné et tout le monde faisait le mort: une fusillade enragée suivait, qui ravageait l'atmosphère trois mètres au-dessus des têtes. L'officier supérieur repartait, ravi de constater l'énergie et le zèle de ses hommes, pour ne rien dire de leur courage sous les feux de l'ennemi. Puis, le récital reprenait."

Ailleurs, les soldats échangeaient boissons et vivres. On cite même un régiment qui avait ouvert une brasserie!

Ces échanges étaient favorisés dans bien des cas quand les soldats parlaient la même langue: des Alsaciens annexés à l'Allemagne après la guerre de 1870, nombre d'Allemands avaient travaillé en Angleterre. Des Italiens, engagés face aux Autrichiens, avaient également partagé le sort du prolétariat de plusieurs pays d'Europe centrale et savaient suffisamment l'allemand pour échanger plus que des cigarettes. Mais, même sans paroles, les hommes du front se comprenaient.

La répression par les états-majors

Dans tous les pays, les états-majors réprimèrent violemment ces initiatives. Dans certaines circonstances, comme ce fut le cas dans l'épisode décrit dans le film Joyeux Noël, il n'y eut pas d'exécution, à l'exception d'un chat intelligemment fusillé pour "intelligence avec l'ennemi". Mais les unités furent alors systématiquement démantelées et les hommes envoyés vers des secteurs actifs du front. Par contre, en bien des lieux, il y eut une répression sévère. Un soldat italien fut ainsi condamné en 1918 à deux ans de prison pour avoir écrit sur une carte postale qu'il en avait déjà assez du front, que les Autrichiens eux aussi n'en pouvaient plus et "qu'ils ne tiraient plus les uns sur les autres car ils partageaient tous le même destin". Sous des prétextes divers et aussi futiles, des soldats furent fusillés dans toutes les armées.

Mais la répression prenait aussi d'autres formes. Le philosophe Alain, qui était alors artilleur, rapporte: "On voyait quelques fois dans les lunettes de l'artillerie les guetteurs de l'infanterie s'asseoir sur les parapets et engager une conversation d'une tranchée à l'autre. L'ordre était de commencer aussitôt le bombardement."

C'est aussi dans le but de briser les liens naissants entre soldats de part et d'autre des tranchées que les chefs maintenaient une activité permanente ou des "coups de main" sans objectifs militaires réels.

Des fraternisations à la révolution

Ce qui fit alors cruellement défaut, du fait de la trahison des dirigeants socialistes, c'est un parti révolutionnaire à même de percevoir l'évolution des consciences de la troupe et de l'arrière et capable de concrétiser cette fraternité diffuse des combattants, cette colère partagée contre la guerre elle-même et ses responsables civils et militaires. Cette absence se fit surtout sentir au printemps 1917 lorsque l'ensemble des armées connurent une vague massive de mutineries.

Seuls les bolcheviks, en Russie, jouèrent ce rôle, car ils avaient, dès son déclenchement, dénoncé cette guerre comme impérialiste et Lénine décrivait ainsi la signification révolutionnaire de telles fraternisations: "On ne peut terminer la guerre ni en mettant la crosse en l'air ni par le refus unilatéral de la continuer de la part d'un des pays belligérants. Il n'y a, il ne peut y avoir qu'un moyen pratique immédiat (en dehors de la révolution ouvrière sur les capitalistes) de hâter la paix: c'est la fraternisation des soldats sur le front. Soutenons immédiatement avec la plus grande énergie, par tous les moyens, sans réserve, la fraternisation sur le front des soldats des deux groupes de pays belligérants. Cette fraternisation a déjà commencé. Venons-lui en aide!"

Et tandis qu'ailleurs les socialistes dénoncèrent les fraternisations comme "désordonnées et pires qu'inutiles" (Barbusse), les bolcheviks les saluèrent et essayèrent de leur donner des objectifs politiques ce qui d'ailleurs sauva la révolution russe naissante.

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