Maroc : Une commission nationale pilotée par la monarchie02/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1948.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Maroc : Une commission nationale pilotée par la monarchie

Au Maroc, l'Instance Équité et Réconciliation (IER) a annoncé qu'elle avait retrouvé les dépouilles de cinquante opposants à la dictature d'HassanII, disparus dans les centres de détention illégaux de Tagounit, d'Agdez, et de Qalaât Mgouna. Cette commission nationale a été mise en place en 2004 par Mohammed VI, fils et successeur d'HassanII, afin de faire officiellement toute la lumière sur «les violations des droits de l'homme» commises par le gouvernement marocain, de l'indépendance à 1999, année de la mort d'HassanII. Mais ce n'est qu'un artifice, par lequel la monarchie chérifienne tente de redorer son blason, quelque peu terni par des décennies de dictature sanglante.

Certes, des victimes ont été entendues. Leur témoignage a été rendu public, diffusé à la radio et à la télévision, mais un temps seulement. Les membres de l'Instance ont été triés sur le volet; le roi en personne les a choisis. Les pouvoirs de cette commission sont extrêmement limités et il n'est pas question d'aller enquêter au-delà des cadres fixés par la monarchie elle-même.

Preuve en est donnée par les propres statuts de cette commission, qui excluent la désignation des auteurs des crimes et des tortures. Ainsi les victimes peuvent témoigner (pas toutes d'ailleurs, là aussi un tri a été fait) mais elles n'ont pas le droit de prononcer le nom de leurs tortionnaires! Ceux-ci peuvent donc continuer à dormir tranquilles. Pour répondre aux critiques des associations des droits de l'homme qui dénoncent cette mascarade, le gouvernement marocain a mis en avant le fait que certains membres de l'IER (dont son président d'ailleurs) avaient été eux-mêmes victimes de la dictature d'HassanII. Cela ne change rien sur le fond: cette commission est un instrument aux mains de MohammedVI et de la monarchie actuelle. Associer d'anciennes victimes n'est pas nouveau dans ce genre d'opération politique.

Personne n'est dupe des tentatives de la monarchie chérifienne pour essayer d'apparaître acceptable sur le plan international, surtout pas les organisations des droits de l'homme, encore moins les militants politiques et syndicaux qui continuent de subir au quotidien la répression du gouvernement. Journaux et manifestations interdits, militants syndicaux tabassés et arrêtés, opposants sahraouis emprisonnés, telle est la réalité du Maroc d'aujourd'hui, sur fond de misère et de pauvreté pour la très grande majorité de la population. La commission nationale Instance Équité et Réconciliation, à l'instar des entreprises semblables qui ont vu le jour dans d'autres dictatures d'Afrique ou d'Amérique latine, lève certes un coin du voile sur le passé sanguinaire de la dictature d'HassanII. Mais cela s'arrête là! Il n'est pas question de réintégrer dans leurs droits les anciennes victimes, comme ces enseignants opposants vivant toujours en exil. Il est encore moins question de traîner en justice les tortionnaires ou de châtier les coupables de tels crimes, qui ont tous pignon sur rue.

Nombreux sont les tortionnaires qui continuent à exercer le pouvoir, à occuper des postes de responsabilité politiques ou militaires au sein de l'appareil d'État marocain. Car si MohammedVI veut se donner des allures de monarque libéral, rompant avec les méthodes sanguinaires de son père, il ne veut évidemment pas se passer des services de tout un appareil d'État dont il a besoin pour maintenir sa clique au pouvoir et surtout maintenir la population marocaine dans le rang. Il a écarté le tortionnaire le plus en vue, Driss Basri, fidèle serviteur d'HassanII, autorisé le retour d'exil du plus célèbre opposant, Abraham Serfaty, libéré quelques dizaines de prisonniers politiques, notamment sahraouis. Mais il garde à ses côtés tous les autres, les tortionnaires connus comme les plus obscurs, membres de l'appareil d'État, policiers et gendarmes, juges et militaires, qui ont servi et continuent de servir avec zèle les intérêts de la monarchie chérifienne.

La prison mouroir de Tazmamart, les centres de torture d'Agdez, de Qalaât Mgouna, de Derb Moulay Cherif, font désormais partie du passé. Mohammed VI dévoile d'autant plus volontiers les crimes de la dictature de son père qu'il tait ses propres méfaits. Car les droits de l'homme sont toujours violés au Maroc: les faits vont du Journal, un périodique interdit car trop critique, aux mineurs d'Imini-Ouarzazate jetés en prison pour fait de grève, ou aux manifestants sahraouis pour l'indépendance du Sahara Occidental assassinés par l'armée marocaine ou torturés dans la «prison noire» de Lâayoune.

Mais, pour voir le jour, une commission nationale sur les violations des droits de l'homme sous le règne de Mohammed VI attendra sans doute... son successeur.

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