Algérie : Le référendum n'effacera pas les massacres29/09/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/09/une1939.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Algérie : Le référendum n'effacera pas les massacres

Jeudi 29 septembre, environ 18 millions d'électeurs algériens se prononcent par référendum, pour la seconde fois depuis 1999, sur "la paix et la réconciliation nationale", après des années de guerre civile. Les quelque 900000 Algériens résidant hors d'Algérie, dont la majorité vit en France, avaient déjà voté samedi 24 septembre.

Les dirigeants algériens, des responsables de partis politiques, mais aussi des personnalités et des représentants du milieu associatif ont fait campagne en Algérie comme à l'étranger pour appeler la population à voter massivement. Le président algérien Bouteflika a expliqué qu'un succès du "oui" à ce référendum permettra de tourner la page d'une guerre civile qui a débuté en 1992, année où le parti islamiste, le FIS (Front Islamique du Salut), était en passe de remporter les élections législatives, et où l'État algérien les avait annulées.

Dans ce conflit, la population fut prise en tenailles entre l'armée, épine dorsale du régime dictatorial mis en place par le FLN après l'indépendance de 1962, et dont le rôle était d'autant moins clair qu'elle n'était pas forcément sans lien avec les islamistes, et d'autre part les groupes terroristes islamistes. C'est le peuple algérien qui a payé le plus lourd tribut dans une guerre sauvage qui a fait 150000 à 200000 victimes.

Selon la charte mise au vote, seront supprimées les poursuites judiciaires qui visaient des activistes islamistes qui se sont rendus aux autorités depuis janvier 2000, et ceux qui ont mis fin à la lutte armée ou qui se présenteront volontairement aux autorités judiciaires. En revanche, l'arrêt des poursuites ne concernerait pas les individus impliqués dans les massacres collectifs, les viols et les attentats à l'explosif dans les lieux publics. Le texte prévoit aussi des indemnités pour les victimes du conflit, notamment les quelque 6000 personnes enlevées... par les forces gouvernementales.

Le président algérien, qui a établi la règle du jeu de ce référendum, et qui n'a pas ménagé sa peine, y compris en jouant sur la fibre nationaliste, pour convaincre les électeurs de voter "oui", entend tirer un bénéfice politique des sentiments de ceux qui aspirent légitimement au retour de la paix.

Mais cela ne permettra pas d'effacer les souffrances immenses qui ont marqué la population. Les meurtres et les exactions sont trop récents pour être sortis des mémoires. "Qu'on me rende mes vingt-trois proches assassinés... Et ma nièce de 3 ans qu'ils ont fait cuire! Le pardon, je verrai après", expliquait une femme pour qui cela est toujours présent, dix ans après les faits. De même, ce père de famille de Benthala, où 473 villageois furent assassinés, qui a vu la même nuit ses neuf enfants de 9 mois à 18 ans se faire égorger, sa fille de 8 ans être jetée par la fenêtre, a refusé de célébrer la réconciliation nationale et n'ira pas voter.

Est-ce que cette opération politicienne permettra de ramener à coup sûr la paix? Ce n'est pas sûr. Les groupes armés n'ont pas tous rendu les armes. Il resterait entre 800 et 1200 activistes, en majorité des groupes salafistes, dont quelques centaines participeraient à des actions armées. Les meurtres et les attentats aveugles continuent de faire des victimes. Rien qu'en septembre, une quarantaine de personnes ont été tuées. Et ce jeudi 22 septembre encore, une semaine avant le scrutin, dix personnes, dont sept militaires, trouvaient la mort dans deux attentats attribués à des groupes islamistes.

Les familles des victimes, dont certaines appartiennent à des organisations qui préfèrent boycotter la consultation ("En Algérie, quand on met un bulletin dans l'urne, il peut se transformer en chemin", y explique-t-on), n'admettent pas qu'on tourne une page qui reste encore grande ouverte, et encore moins que cette opération serve de tremplin aux clans politiques, à commencer par leurs anciens égorgeurs. "Nous ne sommes pas contre la paix. Nous sommes contre la démarche qui place la réconciliation avant la justice. (...) Nous ne voulons pas que ces hommes qui ont tué reviennent comme des chefs, qu'ils redeviennent profs dans les écoles où ils enseignaient autrefois." De ce point de vue, les déclarations des dirigeants de l'ex-FIS sont de mauvais augure. L'ancien responsable de sa branche armée, Madani Mezrag, a déclaré publiquement qu'ils n'ont pas renoncé à fonder une république islamique en Algérie, même si désormais ils entendent le faire par la voie légale.

Les rivalités des clans politiques sont très loin des préoccupations de la population. "L'armée a rétabli la sécurité, témoignait un Algérien. Mais un jeune sur deux est au chômage. Dans les quartiers, les bâtiments sont délabrés, les ascenseurs ne fonctionnent pas alors que l'argent du pétrole coule à flots. Chez mon père, ils vivent à cinq dans un studio avec un enfant en bas âge". Les contradictions sociales, la misère, sur lesquelles s'est appuyée la démagogie des intégristes, sont toujours là et peuvent engendrer les mêmes effets.

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