Ukraine : Les «dividendes» de la «révolution orange»10/08/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/08/une1932.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Les «dividendes» de la «révolution orange»

En Ukraine, le président Iouchtchenko vient de découvrir à ses dépens cet été qu'à faire de la démagogie, celle-ci peut lui retomber sur la figure.

Fin 2004, Iouchtchenko s'était fait élire président en se présentant comme le chevalier blanc pourfendant la corruption et en s'appuyant sur une mobilisation populaire, ce que l'on avait appelé la «révolution orange». Une bonne partie de la population vomissait le régime du précédent président, Koutchma, avec sa corruption et son népotisme affiché. La fille de Koutchma, son fils adoptif, son gendre ainsi que des parents d'autres dirigeants trustaient les bonnes places et les rentes de situation: entreprises privatisées, direction d'administrations permettant d'empocher d'énormes pots-de-vin et de racketter des pans entiers de la vie sociale...

À peine intronisé, Iouchtchenko avait déclaré qu'il allait «rendre des comptes sur tout, y compris sur sa vie familiale».

Autre équipe, même comportement

Six mois après le changement d'équipe au pouvoir à Kiev, non seulement la situation de la population ne s'est pas améliorée, mais elle s'est dégradée, ne serait-ce que du fait d'un regain sensible de l'inflation, sans que les salaires suivent. Et puis, ceux qui avaient des illusions sur la volonté de la nouvelle équipe de s'en prendre aux combines du pouvoir ont vite dû déchanter. Des journaux d'opposition ont publié la liste des «compères et commères de village» de Iouchtchenko, version ukrainienne de ce qu'un Premier ministre français appelait «les copains et les coquins».

Pour les seuls époux Iouchtchenko, l'organigramme de leurs frères, soeurs, cousins ou relations plus éloignées qui ont des fonctions officielles et dont un enfant, un parent ou un proche occupe un poste dans le monde des affaires remplit une page de journal! Et bien des membres de l'équipe dirigeante - à commencer par la Première ministre Timochenko et son premier adjoint - se font la guerre, au vu et au su de tous, pour placer leurs gens dans les allées du pouvoir, sources de richesse.

«Petits boulots» de rêve

Face à cela, le président a tenté de frapper un grand coup. Mi-juillet, il a violemment dénoncé l'« inspection routière» pour son incompétence et sa vénalité, dont font quotidiennement les frais des dizaines de milliers d'automobilistes. S'en prendre à cette institution - ses initiales DAI sonnent en ukrainien comme: «Fais passer la monnaie!» - pouvait faire l'unanimité dans l'opinion, quand il apparut que le fils aîné du président venait d'être contrôlé par la DAI au volant d'une voiture valant 100 000 euros.

Lors d'une conférence de presse, un journaliste demanda au président d'où venait cet argent. Iouchtchenko explosa devant les caméras et traita l'impudent de «tueur à gages». Cela relança le scandale. Des journaux se répandirent sur les frasques de «monsieur fils» (ses dîners fins dans les restaurants les plus chers, son portable à 4000 euros). Iouchtchenko prétendit que son fils de 19 ans se payait tout cela en travaillant à mi-temps.

Dans un pays où, même pour un travail à plein temps avec un trop-plein d'heures supplémentaires, les salaires ne dépassent pas 150euros par mois pour l'immense majorité des gens, l'explication sonnait comme une provocation.

Tout est bon à prendre

Alors, pour clouer le bec à «ceux qui tentent de calculer les revenus» de ce rejeton doré, l'ex-chef du service juridique de la campagne présidentielle de Iouchtchenko se dévoua. Devenu responsable de l'administration fiscale, cet individu affirma qu'ayant détenu «les droits d'auteur de toutes les marques de la révolution orange», il les avait remis «personnellement» à Iouchtchenko junior. Des experts confirmèrent qu'on pouvait estimer ces droits - sur tout un bric-à-brac de tasses, T-shirts, cache-nez, fanions, bonnets, frappés de logos et slogans de la «révolution orange», qui se vendent dans la rue, des magasins, les halls de gare et aéroports - à 100 millions de dollars!

Le fils du président avait largement de quoi s'offrir sa BMW et faire le plein pendant des siècles. Quant à la population, et d'abord sa fraction qui a soutenu la «révolution orange», elle peut légitimement se sentir flouée. En tout cas, elle a de quoi être écoeurée par les agissements de tous ces hauts bureaucrates. Quelle que soit la couleur dont ces gens s'affublent pour monter à l'assaut du pouvoir, une fois la victoire emportée, ils n'ont rien de plus pressé, comme le déclarait une sociologue citée par un quotidien ukrainien, que de «privatiser à leur profit une révolution populaire».

Partager