Que mûrissent les raisins de la colère!10/08/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/08/une1932.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Que mûrissent les raisins de la colère!

En annonçant le 2 août, à la veille de partir lui-même en vacances, que le «contrat nouvelle embauche», destiné aux entreprises de moins de vingt salariés, entrait immédiatement en vigueur, le Premier ministre s'est même permis de prétendre que celui-ci constituait un «progrès tout à fait considérable», sous prétexte que «70% des contrats proposés sont aujourd'hui des CDD».

Mais s'il y a tant de CDD, si ceux-ci ne sont pas en pratique limités, comme le prévoit expressément la loi, à des circonstances exceptionnelles, comme le remplacement d'un salarié malade ou un «surcroît momentané d'activité», à qui la faute ? Si ce n'est aux patrons qui agissent sans contrôle et tournent la loi en toute impunité, grâce aux gouvernements successifs qui les ont laissés faire.

Ce «contrat nouvelle embauche» marque un recul par rapport au CDD, puisque l'employeur ne peut pas rompre ce dernier avant son terme, sauf en évoquant une faute professionnelle grave, alors qu'avec le nouveau contrat inventé par de Villepin, et sa «période d'essai» de deux ans, le patron n'aura même pas besoin de donner une raison pour procéder à un licenciement durant cette période.

Quand il a présenté son projet, en juin dernier, de Villepin avait affirmé que celui-ci serait «plus protecteur» pour le salarié, qu'il prévoirait des indemnités en cas de perte de l'emploi. En fait d'indemnisation, le salarié licencié recevra du patron une prime de licenciement correspondant à 8% des salaires perçus. Et ce n'est qu'à condition d'avoir travaillé pendant au moins quatre mois qu'il recevra de l'État 16,40 euros (environ 110 francs) par jour... pendant un mois. C'est dire que le salarié qui sera licencié sans explication au bout de trois mois touchera une prime de huit jours, et n'aura droit à aucune indemnité de chômage. C'est cela la «protection sociale» telle que la conçoit de Villepin.

Que ces textes n'avantagent que le patronat, c'est l'évidence même. Laurence Parisot, la nouvelle présidente du Medef, a salué des ordonnances qui vont «dans le bon sens» et qui constituent «un signal positif» pour les patrons, qui souhaitent évidemment la généralisation de ce contrat à toutes les entreprises.

Mais, comme son prédécesseur Seillière, elle s'empresse d'en demander encore plus: «Il est clair qu'il ne faudra pas s'arrêter là et que d'autres initiatives, relatives notamment aux prélèvements obligatoires, seront également nécessaires pour remonter la pente». En clair, cela veut dire que les patrons des grandes entreprises, qui font pourtant des profits records, voudraient payer moins d'impôt, et obtenir de nouvelles diminutions des charges sociales, qui aggraveront évidemment le déficit de la Sécurité sociale.

Quant à créer de nouveaux emplois, il ne faut pas compter pour cela sur le «contrat nouvelle embauche». Les patrons n'embauchent pas pour «donner du travail» aux ouvriers, mais lorsque cela leur permet d'augmenter leurs profits. Et ceux qui utiliseront le nouveau contrat ne feront que profiter de l'opportunité que leur offre le gouvernement.

Les confédérations syndicales ont été quasiment unanimes à dénoncer ce «contrat nouvelle embauche», qui ne concerne pour l'instant que les petites entreprises, mais dont le Premier ministre lui-même a reconnu qu'il pourrait bien se généraliser aux plus grandes. Elles ont évidemment raison. Mais il ne sert à rien de se contenter de condamner, ou de demander l'ouverture de négociations, qui ne changeront rien à la politique du patronat et du gouvernement. Pour les faire reculer, il faudra changer le rapport de forces.

Bien malgré lui, de Villepin va peut-être y contribuer. Suivant une vieille tactique politique, il a voulu profiter des congés d'été pour faire son mauvais coup. Mais c'est en août que mûrissent les raisins... Ceux de la vigne, bien sûr, mais aussi, peut-être, les raisins de la colère. C'est en tout cas ce qu'il faut souhaiter.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprises du 8 août

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