Argentine : Pour Suez, l’eau c’est de l’argent10/08/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/08/une1932.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Pour Suez, l’eau c’est de l’argent

Une partie de bras de fer est engagée entre le gouvernement argentin et les dirigeants de la société privée Aguas Argentinas, la compagnie des eaux et égouts de Buenos-Aires, qui est une société dans laquelle le groupe français Suez est majoritaire.

Le président argentin, Nestor Kirchner, refuse d'accepter les augmentations de tarifs de la distribution et du traitement des eaux que Suez veut imposer et exige que cette société respecte ses engagements en matière d'équipements, d'installations et de services. Du coup Suez menace de se retirer. Et Kirchner parle de revenir sur la privatisation négociée en 1993 entre les dirigeants argentins d'alors et les représentants du groupe Suez (qui s'appelait alors Lyonnaise des Eaux). Épreuve de force, ou marchandage ? En tout cas il est vraisemblable que la proximité de l'échéance politique que constituent les élections législatives argentines d'octobre ajoute à la tension. L'équipe dirigeante actuelle, qui se réclame du parti péroniste, voudrait bien compter sur les voix de la population des quartiers pauvres, principales victimes des conséquences des privatisations des services publics dont Carlos Menem, péroniste lui aussi, s'était fait le champion, il y a douze ans.

Pour obtenir la concession du service de l'eau de la ville de Buenos Aires et de sa banlieue - qui comptent quelque dix millions d'habitants - les dirigeants de Suez n'avaient pas lésiné sur les promesses. Les tarifs devaient baisser, les investissements destinés à apporter l'eau potable à 5 millions de personnes supplémentaires devaient être réalisés à court terme, les canalisations d'évacuation étendues et rénovées.

Jusqu'en 2001 les profits de la filiale argentine atteignaient 15 à 20%, deux à trois fois plus qu'en Europe. Les consommateurs payaient (encore plus facilement que dans le VIIe arrondissement de Paris, disaient les dirigeants de Suez), et bien sûr l'État argentin banquait. Mais dès que la crise de l'économie argentine de 2001-2002 s'est traduite par une baisse du niveau de vie de la population (entre autres d'une partie des classes moyennes) et par une restriction des dépenses de l'État, la manne s'est appauvrie et les dirigeants de Suez ont maintenu leurs profits, notamment en diminuant les investissements.

Les privatisations ont profité, c'est certain, à une minorité d'Argentins. À ceux qui sont devenus les gros actionnaires et les cadres de la filiale argentine de Suez. Mais la très grande majorité de la population y a perdu, y compris les classes moyennes touchées par la crise de 2001-2002.

Quant aux classes populaires, aux millions d'habitants des énormes banlieues, le bilan est catastrophique pour elles. Quand il pleut, racontent des femmes de villes ouvrières comme La Matanza, l'eau ne s'écoule pas et les enfants pataugent dans un mélange d'eau de pluie et d'eaux usées insalubres. Le seul moyen d'assainissement est de faire bouillir l'eau pour nettoyer et faire lessive et vaisselle; mais encore faut-il avoir les moyens d'acheter du combustible. Où sont les belles paroles du groupe Suez sur l'eau potable que la filiale Aguas Argentinas devait donner à 5 millions d'Argentins supplémentaires ?

La privatisation du service de l'eau, comme celle du gaz, du téléphone, a contribué à la dégradation des conditions de vie déjà très difficiles. C'est à juste titre que la population argentine s'en prend aux sociétés capitalistes comme Suez, France Télécom, Telefonica et bien d'autres. Ils ont raison de réclamer que l'eau soit un service public. Et tant mieux si demain Suez doit battre en retraite, en Argentine et ailleurs. Car ce n'est pas le seul pays où cette compagnie étend ses tentacules..

Mais cela ne donne pas pour autant une quelconque raison de faire confiance à l'équipe politique qui cherche à capitaliser le mécontentement pour gagner les prochaines élections, car tout dans la politique qu'elle mène depuis deux ans montre qu'elle est du côté des riches et des nantis.

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