Le temps des colonies : «aux assassins, la patrie reconnaissante»06/04/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/04/une1914.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Le temps des colonies : «aux assassins, la patrie reconnaissante»

Le 23 février dernier a été promulguée une loi «portant reconnaissance de la Nation aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France» dans ses anciennes colonies. L'objet immédiat de cette loi serait de permettre d'améliorer la compensation financière qu'ont eu bien du mal à obtenir les harkis, ces supplétifs algériens de l'armée française pendant la guerre d'Algérie. Mais c'est surtout une loi déposée par certains députés de droite en mal de voix. Et en fait, suivant la vogue actuelle de la repentance, du devoir de mémoire et des commémorations en tout genre, elle dispose que la Nation «reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés». Il ne s'agit surtout pas d'évoquer la responsabilité écrasante de l'État français et de sa politique coloniale dans la situation qui a amené les Européens d'Algérie à devoir choisir entre «la valise ou le cercueil». Quarante ans après, il s'agit surtout de passer l'éponge sur les faits gênants et, si possible, de piper quelques voix aux passage.

De plus, la nouvelle loi exige que «les programmes scolaires reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer». «Oeuvre accomplie», les massacres qui ont marqué la conquête des colonies au long du XIXe siècle, les centaines de milliers de morts de la conquête de l'Algérie, l'expropriation massive de paysans ainsi réduits à la famine? «Rôle positif», la construction, par des travailleurs forcés, du chemin de fer de l'Ouest africain qui coûta la vie à autant d'Africains qu'il y a de traverses sur la voie? «Oeuvre accomplie», les plantations d'hévéas d'Indochine où l'on travaillait sous le fouet, le camp de concentration de Poulo Condor où les Indochinois récalcitrants mouraient de faim et de maladie, le bombardement des villes vietnamiennes par la marine française? «Rôle positif», les massacres de Sétif, de Madagascar, le million de morts de la guerre d'Algérie, les tortures? «Oeuvre accomplie», le mépris généralisé pour les «indigènes», qui allait jusqu'à les exposer dans des zoos humains lors des expositions universelles?

Il faut croire que, aux yeux des promoteurs de cette loi et de ceux qui l'ont votée, toutes ces ignominies ne sont rien au regard du développement de la civilisation française, cette civilisation dont on lisait les progrès dans les cours de la Bourse, sous les titres Banque d'Indochine, plantations Michelin, coton Boussac, Banque de Suez... cette civilisation et ces grands groupes capitalistes qu'ils continuent à servir.

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