Togo : Les dictateurs passent, la dictature et les Français restent09/02/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/02/une1906.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Togo : Les dictateurs passent, la dictature et les Français restent

«C'était un ami de la France et un ami personnel»: c'est par ces mots que Chirac a salué Eyadéma, dictateur du Togo depuis 1967, décédé samedi 5 février.

La France, Eyadéma avait commencé par la servir comme sergent dans la coloniale, participant aux guerres d'Indochine et d'Algérie. Puis comme officier putschiste appuyé par l'ambassade de France et bientôt général-président du Togo. Le Togo, ancienne colonie française, indépendante depuis 1960, est un petit pays d'Afrique de l'Ouest, comptant cinq millions d'habitants. Sa langue officielle est le français, sa monnaie est le franc CFA, son principal fournisseur et principal client est la France. Il abrite 3000 Français, principalement des cadres et des petits et grands propriétaires. Son armée est encadrée par des officiers français et utilise le matériel français. Son dictateur-président est toujours prêt à relayer la politique française en Afrique. Sa politique se discute à l'Elysée et, à l'ONU, le Togo vote toujours comme la France.

En contrepartie de cette «amitié» du Togo et de son président, la France, en la personne de ses présidents successifs (de De Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand), a donné pendant trente-sept ans à Eyadéma les moyens d'exercer seul le pouvoir. Le général-président s'appuyait avant tout sur ses 13000 soldats et, lorsque cela ne suffisait pas, directement sur l'armée française. En 1986, la France envoya en effet 150 parachutistes et quatre avions de combat pour l'aider à venir à bout d'une tentative de coup d'État.

Le pays vit suivant les cours mondiaux du phosphate, principal produit d'exportation. Lorsque les cours sont hauts, le pouvoir mène une politique de grands travaux, réalisés par des groupes français et en empruntant aux banques françaises. Lorsque les cours sont bas, l'État exige des sacrifices de la population pour pouvoir rembourser les banques. Dans tous les cas, le clan au pouvoir se sert au passage. Car s'il arrive que les salaires des fonctionnaires soient en retard de plusieurs mois, la famille Eyadéma a toujours de quoi recevoir ses amis français de passage, présidents, ministres, entrepreneurs, etc.

Au Togo les opposants disparaissent, les grèves sont réprimées, les manifestations mitraillées. De l'aveu même du gouvernement togolais, la répression des manifestations de 1991 a fait plusieurs dizaines de morts par balle et on a retrouvé pendant des jours des cadavres flottant dans le port de Lomé. En 1999, Amnesty International a élaboré un rapport intitulé Togo, État de terreur qui dénonce des centaines d'exécutions d'opposants. Le président Eyadéma a évidemment crié à la calomnie et, dans cette épreuve, il a pu reconnaître un véritable ami: Chirac, de passage à Lomé, lui a donné raison contre Amnesty International...

Quand, en 1993, Eyadéma a organisé des élections, même l'ONU, pourtant pas toujours très regardante en la matière, n'a pas reconnu leur validité et, en conséquence, a suspendu ses «aides au développement». La France a continué les siennes, ayant la certitude que le président-dictateur saurait les dépenser judicieusement sur les conseils de ses amis.

Ces parodies d'élections, ces lois pour la galerie, l'état-major togolais est le premier à ne pas les respecter. Il a commencé par nommer président le fils du dictateur et a modifié ensuite la Constitution pour «légaliser» la chose. Chirac et l'ONU ont été obligés de protester, c'est dire.

Mais après 37 années de dictature et d'amitié avec la France, 300000 Togolais ont dû s'exiler, poussés par la misère ou la répression, 50% de la population est analphabète, 68% vit en dessous du seuil de pauvreté, le niveau de vie a baissé de 25% dans les vingt dernières années. Cet appauvrissement est la conséquence du pillage exercé par la famille Eyadéma et surtout par les compagnies françaises qui lui prêtent de l'argent, lui vendent armes et marchandises, achètent les matières premières et exploitent directement ou indirectement la main-d'oeuvre du pays. Le «grand ami» Chirac, comme ses prédécesseurs, veillera à ce que cela continue, avec le fils Eyadéma s'il est capable de reprendre l'affaire de son père, avec un autre s'il le faut, avec les militaires de toute façon.

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