Maroc : «Équité» improbable et «réconciliation» impossible09/02/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/02/une1906.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Maroc : «Équité» improbable et «réconciliation» impossible

À l'initiative du roi Mohammed VI, une Instance Équité et Réconciliation a été mise en place au Maroc en avril 2004. Sa mission consiste officiellement à établir la vérité sur les «violations flagrantes» des droits de l'homme commises entre 1956 et 1999 par les «organes étatiques», prenant la suite de l'IAI (Instance d'arbitrage indépendant) fondée peu de temps avant son décès en 1999 par le père du roi, Hassan II.

Durant les années 1970 et 1980, ce despote a fait régner une dictature féroce contre la population, s'appuyant sur un appareil d'État responsable de la mort et de la torture de milliers d'opposants, de la répression de révoltes populaires comme à Casablanca en 1981 et à Marrakech en 1984.

Depuis six ans, le fils poursuit sans grand changement l'oeuvre de son père. Même s'il se targue de «modernisme», il maintient la population marocaine dans la misère -six millions de Marocains vivant officiellement au-dessous du seuil de pauvreté- et l'oppression qui l'accompagne. La famille royale possède une fortune qui s'accumule sur des dizaines de comptes en banque et dans un gigantesque parc immobilier, et dispose des meilleures terres du pays, pendant que les trois quarts des paysans n'ont toujours pas accès à l'électricité.

Mais, comme il avait tenté de le proclamer symboliquement en laissant enfin rentrer au Maroc au début de son règne l'opposant Abraham Serfaty, que son père avait fait emprisonner de 1974 à 1991 puis exiler, le roi a pour «objectif de réconcilier le Maroc avec son passé», comme il le déclarait dans une interview récente. Or «le passé du Maroc fait partie de son histoire» a-t-il ajouté, et c'est ainsi qu'il a lancé il y a quelques mois l'Instance Équité et Réconciliation dont la direction a été confiée à un ancien opposant, détenu lui-même pendant dix-huit ans, Driss Benzekri.

Des auditions publiques ont commencé en décembre dernier. À Rabat, puis à Errachidia récemment, près de l'ancien bagne de Tazmamart où le régime d'Hassan II a fait enfermer et torturer des centaines d'opposants réels ou supposés, enfin dernièrement à Khénifra. Ces audiences, si elles lèvent un coin du voile et permettent à d'anciennes victimes de la répression chérifienne ou à leur famille d'exprimer enfin l'horreur vécue et de raconter les sévices subis, ont une limite vite atteinte: les victimes n'ont pas le droit de dévoiler publiquement l'identité de leurs tortionnaires, dont certains occupent encore des responsabilités dans l'appareil d'État marocain, à l'instar d'un Papon resté longtemps préfet en France.

D'autant plus que, si le gouvernement se préoccupe «d'examiner sans complexe ni honte cette page de [son] passé», les exactions n'ont pas cessé depuis l'arrivée au pouvoir de Mohammed VI, comme le signalait fin 2003 le Comité des Nations unies contre la Torture, qui stigmatisait «l'accroissement des allégations de torture, et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants» au Maroc. La loi «antiterroriste» de mai 2003 a ainsi renforcé la torture, les enlèvements et la détention dans des lieux secrets. Quant à la répression subie par les travailleurs, on en a eu un exemple récemment avec la conclusion du procès des militants syndicaux, suite à la grève des mines d'Imini-Ouarzazate. L'un d'entre eux, condamné à dix ans de réclusion, poursuit une grève de la faim.

Le roi aura donc encore de l'ouvrage lorsqu'il décidera de lancer la deuxième phase de son opération politique, celle qui témoignera de l'arbitraire sous le règne de... Mohammed VI.

Partager