La révolte en Ukraine02/12/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/12/une1896.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

La révolte en Ukraine

En Ukraine, ce pays à l'est de l'Europe, issu de l'éclatement de l'Union soviétique, dominé par des clans politiques de l'ancienne bureaucratie, une partie de la population n'a pas accepté les résultats d'élections manifestement truquées. Elle est descendue dans la rue et, depuis une dizaine de jours, des centaines de milliers de personnes occupent en permanence le centre de la capitale, Kiev, et refusent que le candidat du pouvoir soit reconnu vainqueur.

Comme le montre l'affolement du milieu dirigeant, ces députés et ces médias auparavant pro-gouvernementaux qui tournent leur veste, l'intervention de la rue a été efficace. Elle démontre en tout cas que, quand une population est déterminée à s'opposer à un pouvoir corrompu, elle a les moyens de le faire.

L'homme qui cristallise sur son nom la force venant de la rue ressemble cependant par toute sa carrière politique au candidat du pouvoir en place. Les deux sont issus de l'ancienne bureaucratie soviétique. L'un est le Premier ministre en exercice; l'autre, le candidat de l'opposition, a été Premier ministre il y a quelques années. Ils ont tous les deux servi le même président et ont participé à son pouvoir corrompu. Leur seule différence, c'est que, pendant que l'un cherche le soutien de la Russie, l'autre a choisi, dans sa campagne électorale, de se présenter pro-occidental et pro-européen.

A en juger par ce que montrent les télévisions d'ici et à ce qu'en rapporte la presse, toutes très favorables à ce qu'elles appellent la "révolution orange", la population mobilisée a bien des illusions. Illusions dans le candidat de l'opposition. Illusions dans la perspective de l'intégration dans l'Union européenne qu'il promet.

L'espoir des manifestants est que, si leur candidat est proclamé élu, cela ouvrira le chemin vers une évolution démocratique du régime, avec moins de corruption, moins de censure, avec aussi l'espoir que les changements politiques apporteront un niveau de vie qui se rapproche de celui de l'Europe occidentale. Ils risquent d'être malheureusement déçus pour l'une comme pour l'autre.

On se souvient de l'enthousiasme avec lequel une partie de la population russe avait naguère porté au pouvoir Boris Eltsine qui, pour parvenir au sommet, avait joué sur les mêmes sentiments sur lesquels joue le chef de l'opposition en Ukraine. Eltsine avait réussi à évincer du pouvoir son rival Gorbatchev. Il n'avait pas apporté la démocratie, mais seulement un pouvoir aussi faible que corrompu et l'éclatement de l'URSS. Il n'avait pas apporté la liberté pour tous mais seulement celle pour les hauts bureaucrates de piller les richesses du pays. Et l'économie de marché, qui avait été alors présentée comme la condition même de la démocratie, si elle a rempli de produits nombre de magasins, n'a pas donné à la majorité de la population les moyens de les acheter et a empiré la situation de beaucoup.

Les dirigeants de l'opposition ukrainienne se disent pro-européens. Mais l'Union européenne n'envisage que la vassalisation de l'Ukraine, pas son intégration. Et la lutte pour le pouvoir des deux candidats rivaux est lourde, de surcroît, de la menace de l'éclatement du pays en deux États. Ce qui serait un recul considérable, même s'il ne s'accompagnait pas d'un conflit armé.

Alors, l'espoir pour l'Ukraine n'est certainement pas dans la politique des deux clans rivaux pour le pouvoir. Il n'est pas non plus dans les manoeuvres politiques de leurs protecteurs respectifs, les dirigeants russes d'un côté et les dirigeants du monde occidental de l'autre.

L'espoir est dans la mobilisation elle-même. Il est dans le fait que ces centaines de milliers de femmes et d'hommes qui, dans leur lutte contre le pouvoir corrompu, se sont rendus compte de la force que représente la population mobilisée, prennent aussi conscience qu'ils peuvent aller au-delà du choix entre deux cliques politiques que finalement pas grand-chose ne sépare, et parvenir à la conscience que la population elle-même peut contrôler le pouvoir et prendre en mains la gestion de l'économie, au lieu de laisser des clans bureaucratiques la piller et une petite minorité s'enrichir.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 29 novembre 2004

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