Ukraine : Deux présidents proclamés, une même politique contre les travailleurs25/11/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/11/une1895.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Ukraine : Deux présidents proclamés, une même politique contre les travailleurs

Mardi 23 novembre, alors que ses partisans manifestaient nombreux à Kiev et dans les grandes villes d'Ukraine, Viktor Iouchtchenko se faisait proclamer président par l'Assemblée nationale où ne siégeaient qu'une minorité de députés: ceux de son parti. La veille, Viktor Ianoukovitch, Premier ministre et candidat du président sortant, Koutchma, avait été sacré vainqueur par la Commission électorale centrale nommée par Koutchma!

Ianoukovitch avait été devancé par son rival au premier tour. Au second, il l'aurait distancé de trois points. Cela n'a rien de surprenant. En Ukraine, comme en Russie (dont le président Poutine a aussitôt félicité Ianoukovitch), les hommes au pouvoir ne s'embarrassent guère de formalisme quant aux élections. Cette fois encore, chacun a arrangé les résultats dans les fiefs qu'il contrôle. À Dniepropetrovsk, ville-usine de plus d'un million d'habitants, qui est le fief de Koutchma après avoir été jadis celui de Brejnev, le candidat du pouvoir affiche... près de 99% des suffrages. À l'inverse, dans l'ouest de l'Ukraine, bastion des nationalistes antirusses, celui que ces derniers et les autorités locales soutenaient recueille des résultats à peine moins "brejneviens".

Autant dire que, dans la "guerre des Viktor", comme disait la presse avant le scrutin, les électeurs ne participaient qu'à titre de figurants. Et si Iouchtchenko peut se dire volé de sa victoire (probable, tant est grand le rejet du pouvoir en place et de ses hommes), il est mal placé pour jouer les parangons de vertu que voient en lui les journaux occidentaux. De fait, il ressemble à s'y méprendre à son adversaire.

L'un, Ianoukovitch, s'appuie sur les clans, guère changés depuis la fin de l'URSS, de la bureaucratie des métropoles industrielles de l'Est: le sien à Donetsk et celui de Koutchma, à Dniepropetrovsk. L'autre, Iouchtchenko, l'a précédé entre 1999 et 2001 à la tête du gouvernement du même Koutchma. Comme eux, il a débuté sa carrière de bureaucrate du temps de l'URSS dans l'est du pays. S'il paraît moins lié qu'eux aux clans de la bureaucratie des grands centres industriels, il a présidé la Banque centrale d'Ukraine avant de devenir Premier ministre et s'appuie sur d'autres clans, eux financiers, de la même bureaucratie d'État. On ne peut que sourire quand on entend dire, ici, qu'il serait un "Monsieur Propre" opposé aux corrompus du pouvoir.

Que Koutchma ait mis à profit deux mandats présidentiels pour s'enrichir, qu'il ait donné à sa fille le monopole du premier groupe de téléphonie mobile du pays, que son gendre parasite tout un pan de la métallurgie, nul n'en doute. Les travailleurs, les petites gens ont vu cette engeance voler des milliards (et pas en hrivnias, monnaie locale auprès de laquelle le rouble russe fait figure de devise forte) alors que le salaire d'un conducteur de tram, à Kiev, tourne autour de 80 à 150 euros, celui d'une ouvrière du textile de Kharkov, de 40 à 80 euros.

Mais à la Banque centrale ou au gouvernement, Iouchtchenko n'avait rien à envier aux Koutchma et Ianoukovitch. Lui, c'était les prêts du FMI qu'il aidait à faire disparaître dans des poches amies. Son adjointe, Timochenko, encensée ces jours-ci dans la presse occidentale, fut condamnée à de la prison, non pour avoir détourné des masses considérables de gaz et de pétrole russes transitant par l'Ukraine, mais pour avoir refusé de partager ce gâteau avec d'autres dirigeants.

Ces hommes, parfaitement interchangeables au début, ont choisi de jouer des cartes différentes: l'un en recherchant l'appui de Poutine, l'autre (il fallait bien se distinguer) en se donnant un visage de pro-occidental (c'est-à-dire, bien plus que pro-européen, d'ami des États-Unis). Apparemment, à voir l'évolution de la situation, et le changement d'attitude de Poutine, c'était sans doute la meilleure carte. Et Poutine pourrait bien payer aujourd'hui la politique menée par son prédécesseur Eltsine, qui pour conquérir le pouvoir en Russie, avait encouragé les forces centrifuges qui amenèrent l'éclatement de l'URSS.

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