Entrée de la Turquie dans l'Union européenne : Des arguments hypocrites et démagogiques13/10/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1889.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Entrée de la Turquie dans l'Union européenne : Des arguments hypocrites et démagogiques

Le débat sur une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne continue d'agiter -et de diviser- la plupart des partis politiques français et des membres du gouvernement.

À gauche comme à droite se trouvent des partisans de l'entrée de la Turquie dans l'UE ainsi que des souverainistes qui, au nom d'une soi-disant "identité européenne", multiplient les déclarations hostiles à toute adhésion: la Turquie est un pays à majorité musulmane, les droits de l'homme n'y sont pas respectés. Preuve en serait, selon les propos tenus par le sénateur UMP Jacques Santini mardi 12 octobre sur France Inter, que la Turquie n'a jamais reconnu le génocide arménien de 1915! C'est sans doute vrai, mais c'est aussi faire abstraction du fait que, depuis les années trente, la Turquie est un État plus laïque que bien des États de l'Union européenne et où, bien avant la France, par exemple, le port du voile dans les écoles était interdit. Quant aux assassinats en masse, la France est mal placée pour donner des leçons, elle qui a sur les mains le sang des victimes de la répression de Madagascar en 1947, et qui a mené des sales guerres coloniales en Indochine et en Algérie, massacrant des centaines de milliers de personnes dans sa tentative de dénier à ces peuples leur droit à l'indépendance.

Après avoir lancé l'idée de soumettre l'adhésion de la Turquie à un référendum (qui, de toute façon, ne se tiendrait pas avant une dizaine d'années!), Chirac et Raffarin proposent maintenant que le débat se déroule à l'Assemblée nationale, avant la tenue du Conseil européen du 17 décembre qui doit décider d'ouvrir ou non les négociations avec la Turquie. Ce débat devrait donc se tenir jeudi 14 octobre, mais sans donner lieu à un vote, que réclament Bayrou et Fabius.

Toutes ces tergiversations autour de la place de la Turquie dans l'Europe sont en fait d'une belle hypocrisie, car depuis le 1er janvier 1996, elle est bel et bien intégrée à l'union douanière européenne. Autrement dit, depuis près de neuf ans, il n'existe pratiquement plus d'entrave à la libre circulation des capitaux et des marchandises entre les quinze, puis les vingt-cinq pays de l'Union, et la Turquie. Les capitalistes européens ont obtenu ce qui les avantageait: pouvoir faire des affaires et profiter de ce marché sans contrainte.

De son côté, la bourgeoisie turque a estimé en majorité que c'était aussi le meilleur choix pour elle. Mais aujourd'hui, les dirigeants turcs ne se contentent pas de cette union douanière. Ils veulent que le pays soit admis de plein droit dans l'Union. Autrement dit, la Turquie ne veut pas subir seulement les conséquences de l'appartenance à une zone de libre-échange, elle veut aussi y avoir son mot à dire dans les mêmes conditions que les autres membres de l'UE.

Concrètement, cela signifie que pendant les dix, voire les quinze années à venir vont se discuter les contreparties que les autres États européens sont prêts à accorder à la Turquie, car l'entrée dans l'Union européenne voudrait dire que l'on accorde à la Turquie les mêmes droits qu'aux autres États-membres: la libre circulation des citoyens turcs à l'intérieur de cette Union ainsi qu'une représentation dans toutes les instances européennes, à commencer par le Parlement où, compte tenu du nombre d'habitants, la Turquie devrait avoir aujourd'hui le même nombre de députés que l'Allemagne.

C'est donc une âpre discussion qui se prépare, car nombre de dirigeants européens ont des réticences, bien peu démocratiques, à accorder aux Turcs les mêmes prérogatives et les mêmes droits qu'aux autres peuples européens.

À cela s'ajoutent les propos démagogiques concernant la situation géographique de la Turquie (pourtant moins excentrée par rapport à l'Europe occidentale que Chypre!), la place qu'occupe l'islam ou le non-respect des droits de l'homme, que nombre de politiciens européens, à l'instar des de Villiers, sont prêts à brandir pour tenter d'exploiter électoralement la peur du musulman et autres arguments xénophobes.

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