À la SNCM : Les calculs des nationalistes inquiètent les travailleurs23/09/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/09/une1886.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

À la SNCM : Les calculs des nationalistes inquiètent les travailleurs

Après quinze jours de blocage des navires de la SNCM, la Société Nationale Corse-Méditerranée qui assure entre autres le trafic entre Corse et continent, la grève appelée par le STC (Syndicat des Travailleurs Corses) s'est arrêtée le 18 septembre. Le "relevé de conclusions" qui en est sorti a paru assez inquiétant pour les autres syndicats et les travailleurs de la SNCM pour que, trois jours après, le travail n'ait pas encore vraiment repris dans la compagnie.

Les revendications du STC

C'est samedi 4 septembre que le STC de la SNCM, syndicat nationaliste, avait appelé les travailleurs des agences portuaires à la grève. Ses revendications multiples concernaient certains agents de Nice, Bastia, Ajaccio et Marseille. Il demandait aussi de donner à la direction locale de Corse "une réelle autonomie décisionnelle et financière".

Le trafic entre la Corse et le continent était arrêté. D'après la direction, les grévistes étaient environ 70 sur les 2400 salariés de la Compagnie. Les marins, respectant la tradition, n'ont pas voulu s'opposer aux syndicalistes et les bateaux sont restés à quai pendant deux semaines.

Dimanche 19, les négociations entre la direction et le STC, en présence des Chambres de commerce et d'industrie et de l'Exécutif de Corse, aboutissaient à un relevé de conclusions qui éclairait un peu les objectifs réels des dirigeants du STC dans cette grève. Outre quelques mesures d'avancement et des primes dites d'insularité ou de polyvalence pour quelques salariés des agences de Nice, d'Ajaccio et de Bastia, l'accord prévoyait que "la fonction du directeur général adjoint pour la Corse sera confortée et renforcée dans le cadre de l'évolution de la stratégie globale de l'entreprise, notamment en précisant les délégations de pouvoir qui lui sont conférées dans une optique de responsabilité de décisions accrues et plus larges". Il décide l'ouverture d'une centrale d'achat en Corse et l'augmentation du nombre d'embauches de navigants résidant en Corse.

Le texte, sous la tête de chapitre "rééquilibrage des recrutements des navigants résidant en Corse", est le suivant: "À compétences égales (formation et aptitudes) et dans le cadre des normes de recrutement de l'entreprise, la SNCM décide de rééquilibrer les nouveaux recrutements de navigants résidant en Corse et dans les autres régions, ainsi que leurs journées d'emploi."

Le STC ne dit pas défendre les intérêts des travailleurs en général, mais celui des travailleurs corses. En fait, aucune discrimination en défaveur des travailleurs corses n'est apparue jusqu'à présent dans l'embauche. Ils sont d'ailleurs nombreux dans l'effectif de la SNCM. En fait, les revendications nationalistes mises en avant par le STC semblent surtout intéresser les patrons de l'île.

Les patrons corses, les producteurs de mandarines et les autres souhaitent bénéficier de conditions très avantageuses pour le transport de leurs marchandises, qu'ils les achètent ou qu'ils les vendent sur le continent, et ils souhaitent que les marins s'abstiennent de revendiquer et de se mettre en grève. Ils n'ont pas habituellement de mots assez durs à l'égard des grévistes dont ils disent qu'ils prennent l'île en otage, qu'ils l'affament. Or, rien de tel cette fois-ci, le Medef de Corse comme la Chambre de commerce et d'industrie se sont bornés à regretter que la direction de la SNCM ne négocie pas plus rapidement avec le STC. Seules les entreprises du tourisme se plaignaient de la situation.

Sur l'île, le soutien au mouvement du STC semble avoir été limité: une soirée de soutien organisée à Bastia dimanche 12 septembre réunissait une cinquantaine de personnes. Des travailleurs corses de la Compagnie disent que le souci des nationalistes n'est pas les emplois mais le pouvoir et l'argent.

Inquiétude du personnel

Le résultat des négociations a beaucoup inquiété la grande majorité des travailleurs de la SNCM, y compris corses et qu'ils soient de Corse ou du continent. N'est-ce pas là un début de régionalisation? N'est-ce pas le risque de la coupure de la Compagnie en deux? Une compagnie régionale aurait-elle encore la dimension suffisante pour assurer le service public sur la Corse? N'y a-t-il pas des risques de privatisation?

"L'enveloppe", l'argent versé par l'État, destiné à assurer le principe de la "continuité territoriale" entre la Corse et le continent, est depuis quelques années géré par l'OTC (Office du Transport en Corse). Réparti entre les différents modes de transport aérien, maritime, routier et ferroviaire, il excite les envies. Cette enveloppe ne peut être distribuée que pour le trafic des cargos mixtes (transport de fret et transport de passagers à la fois), et non pour le trafic uniquement passagers assuré par les ferries ainsi que le fait la compagnie italienne concurrente Corsica ferries.

Les salariés de la SNCM craignent des pertes d'emplois et même la fermeture de l'entreprise. Ils craignent la convoitise des compagnies dites consignataires (c'est-à-dire des compagnies auxquelles la SNCM s'est associée pour le trafic en direction de certaines destinations) de la Compagnie privée Corsica Ferries ou de la puissante compagnie privée CMA-CGM, sans doute intéressée à reprendre les lignes du Maghreb qui prennent de plus en plus d'importance et sont le secteur le plus rentable de la société.

Tous les syndicats, en dehors du STC, se sont opposés aux clauses sur une priorité d'embauche en fonction du lieu de résidence, qu'ils ont jugées discriminatoires. À leur appel, le 21 septembre au matin à Marseille, l'équipage du ferry Île de Beauté, au lieu de partir pour la Sardaigne s'est installé devant le siège à partir de 6 h 30 avec le soutien des personnels de l'Agence et des Ateliers. Les ferries sont désarmés, seuls ont navigué les cargos pour la Corse. Personne n'a travaillé aux Ateliers. À l'Agence marseillaise, tant sur les quais qu'au siège, le personnel n'a travaillé que pour permettre le départ des navires des compagnies consignataires, CTN, compagnie tunisienne, et l'ENTMV, algérienne. Il s'agissait de soutenir la délégation de l'intersyndicale (CGT, FO, CGC, CFTC...) qui se rendait au ministère des Transports à Paris pour demander l'annulation du relevé de conclusions négocié entre le STC et la direction de la SNCM.

L'immense majorité des travailleurs avec l'intersyndicale demande à ce que la SNCM reste une compagnie nationale et avant tout un service public. Il reste aussi la menace bien réelle du gouvernement qui a déclaré au cours de la grève à propos de recapitalisation qu'il fallait "faire des efforts". La dernière fois qu'il a été question d'"efforts", cela s'est soldé par la suppression de 300 emplois. La direction ne cesse de proclamer que la compagnie est dans une piètre situation, qu'elle ne s'en sort pas, qu'elle est accablée de dettes. Les salariés craignent qu'après la fermeture de l'agence de Toulon, tous ces propos n'aient pour but que de justifier la fermeture de l'agence de Nice, puis, ultérieurement, la fermeture de celle de Marseille et l'abandon total de la compagnie.

L'agence de Marseille n'a donc travaillé que pour assurer les départs des bateaux des Compagnies consignataires. Les ateliers ont rejoint les marins devant le siège pour toute la journée. Les employés des bureaux du siège et ceux des bureaux des quais ont rejoint le personnel dans la rue.

L'après-midi du mardi, apprenant que le gouvernement défendait l'accord, le personnel présent s'opposait au départ du cargo Paglia Orba. Une assemblée générale du personnel était prévue pour mercredi 22 septembre à 11 heures. La CGT appelait d'emblée à continuer une lutte qui risquait d'être longue.

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