Pologne : Ce qu'y font les patrons français... sur fond d'idées réactionnaires16/09/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/09/une1885.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pologne : Ce qu'y font les patrons français... sur fond d'idées réactionnaires

Lorsqu'ils évoquent les licenciements effectués sous prétexte de "délocalisations", c'est tout juste si certains politiciens n'accusent pas les ouvriers polonais d'être responsables de la ruine d'entreprises françaises. Curieux déplacement des responsabilités, lorsqu'on observe ce qui se passe réellement.

Les sociétés françaises sont très implantées en Pologne, et il ne s'agit généralement pas de délocalisations: au travers de sociétés publiques, comme EDF-GDF qui a acheté des centrales électriques, ou ex-publiques, comme France Télécom qui a acheté l'opérateur national polonais, l'ex-Thomson, qui en Pologne s'appelle toujours Thomson et y fait fabriquer depuis bien longtemps ses téléviseurs; au travers de poids lourds de l'économie française, comme Bouygues, Danone, Alstom; au travers de grands du secteur du commerce, Auchan, Carrefour, Leclerc, Castorama, Conforama, ou encore de PME-PMI; au total plus de 500 entreprises françaises ont pris pied en Pologne et, en 2003, la France était le premier investisseur étranger dans ce pays...

Mais l'inflation d'entreprises françaises en Pologne n'a pas représenté un progrès social pour les travailleurs polonais. Si 60% des entreprises privées -dont l'expansion en Pologne date de 1989- paient les salaires avec retard, et parfois avec plusieurs mois de retard (à tel point que pour un salarié polonais, c'est devenu une bonne surprise d'être payé à la fin de son mois de travail), des Auchan, Leclerc, ou autres sociétés françaises, qui n'ont quand même pas encore tenté cela en France, invoquent eux aussi des difficultés, des problèmes de trésorerie, pour ne pas payer leurs employés en temps et en heure.

D'emblée, quand elles sont apparues, les grandes surfaces, souvent situées à la grande périphérie des villes, ont ouvert le dimanche. Comme beaucoup de Polonais n'ont pas de voiture, le trajet pour faire ses courses demande du temps et, le week-end, il y a du monde dans ces grands magasins. Mais les employés, eux, sont payés au même tarif qu'en semaine. Pour beaucoup de salariés, les pressions pour changer du jour au lendemain les horaires de travail, augmenter ou raccourcir la durée hebdomadaire travaillée, sont monnaie courante. Et dans un pays où le chômage touche presque un actif sur cinq, la législation du travail, déjà élastique, prend, dans la réalité, toutes les formes souhaitées par les employeurs.

Contre ceux qui tenteraient de protester, c'est la chasse aux contestataires, et un grand nombre de sociétés privées sont des sociétés sans syndicats, ce dont les patrons se vantent.

Ainsi, ce sont souvent les mêmes qui créent les bas salaires, les horaires démentiels dans ces pays, qui font semblant de déplorer la concurrence prétendument provoquée ici par les conditions de travail là-bas!

En Pologne, avant l'entrée dans l'Union européenne ou après, que la gauche ou la droite soit au gouvernement, une partie de la population vit pauvrement et parfois misérablement et la droite et l'extrême droite tirent parti de la situation pour développer leur démagogie.

Ainsi, l'ouverture des grandes surfaces, le dimanche, est devenue un sujet de polémique révélateur. Le dimanche est un jour sacré, expliquent la droite et l'extrême droite, qui demandent la fermeture des centres commerciaux. Il doit être consacré à la famille, disent-elles (le parti conservateur, qui a le plus progressé récemment, s'appelle la "Ligue des Familles Polonaises"); ce jour-là, on devrait même ne rien faire de "matériel", et on subit une pression si on fait son ménage ou sa lessive, le dimanche. Ces partis, à la recherche d'arguments "sociaux", expliquent que les grandes entreprises occidentales se moquent des Polonais auxquels elles n'appliquent même pas la législation qu'elles appliquent dans leur pays d'origine.

La pression grandissante de ces milieux conservateurs s'est fait ressentir récemment dans plusieurs domaines. La "Gay Pride" de Varsovie a été cette année interdite par le maire de la ville, sous prétexte de protéger les participants d'attaques de l'extrême droite, parmi laquelle un petit groupe, la "Jeunesse de la Pologne Toute-Puissante". Ce groupe multiplie les actes de violence envers ceux qu'il trouve trop anticonformistes.

Suite à cette interdiction, des associations d'homosexuels ont mené une campagne où, sur de grandes affiches, des personnes photographiées affirmaient "je suis homosexuel(le)". La photo de l'une d'entre elles, une enseignante, a provoqué un scandale: des associations ont fait appel au ministère de l'Éducation pour l'empêcher d'être au contact des enfants, et elle a été licenciée.

Dans le même registre, l'enterrement de l'écrivain Czeslaw Milosz, décédé cet été à Cracovie, a été l'occasion d'une polémique toute la semaine qui a suivi son décès. Les partis de droite et d'extrême droite ont mené campagne contre son enterrement à Cracovie dans la crypte du monastère de Skalka, lieu considéré comme le panthéon des grands hommes polonais. Milosz s'est pourtant présenté comme polonais et catholique, mais aux yeux des conservateurs il n'était pas dans leurs normes: il avait, selon eux, évoqué trop crûment les tares de l'histoire polonaise, en ayant par exemple parlé dans un poème des Varsoviens qui venaient regarder brûler le ghetto juif en 1943. Les responsables du monastère ont alors trouvé qu'il y avait un problème de manque de place, et qu'ils ne pourraient pas enterrer Milosz. C'est finalement le pape et l'archevêque de Cracovie qui a ont tranché, en concluant que Milosz était un bon chrétien et donc un bon Polonais, et devait avoir sa tombe audit monastère, où il a fini par être enterré.

Bref, misère sociale et misère morale marchent comme d'habitude de pair, et en Pologne elles avancent à grand pas.

Partager