L'impérialisme "humanitaire" de la France en Afrique26/08/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/08/une1882.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

L'impérialisme "humanitaire" de la France en Afrique

À la fin du mois de juillet, le président Chirac annonçait une intervention militaire française au Darfour, la région ouest du Soudan qui subit une guerre civile meurtrière. Les massacres datent de 1983 au sud-Soudan, de décembre 2002 au Darfour et viennent de toucher le Nil bleu. Selon l'ONU, il y aurait déjà 30000 morts et plus d'un million de personnes déplacées. Des populations entières fuient au Tchad et vivent sous la menace de la famine et des épidémies.

D'où vient la guerre civile au Darfour ?

Les oppositions entre populations africaines et arabes, entre nomades et paysans sédentaires, entre la province (la plus pauvre du pays) et le pouvoir central existent de longue date. Mais les deux grandes bandes armées se faisant alors la guerre, celle de la dictature militaire et islamiste du nord-Soudan du général-président Omar El Béchir et celle de l'ALS de John Garang, la guérilla chrétienne occupant le sud-Soudan, les ont sciemment attisées. Le gouvernement soudanais, ne pouvant utiliser son armée dont les soldats sont souvent originaires du Darfour, a massivement armé une contre-guérilla de cavaliers arabes recrutés dans les populations nomades, les Janjawids, sans pitié pour les populations noires africaines et paysannes.

Que fait la France au Soudan ?

Officiellement, l'armée française, accueillie favorablement par les deux gouvernements, tchadien et soudanais, intervient au nom de la communauté internationale dans un but humanitaire, pour séparer les combattants et faire pression sur eux. La réalité est bien différente. L'ONU, sous la pression des USA, avait proclamé un ultimatum expirant le 30 août contre le gouvernement soudanais en lui intimant l'ordre de faire cesser les massacres. Le gouvernement français a obtenu d'atténuer la résolution (en faisant enlever la menace d'intervention et le terme de génocide) puis s'est présenté comme responsable de sa bonne application en prenant l'initiative de l'intervention. Le gouvernement soudanais a accueilli avec félicitations l'intervention militaire française tout en faisant descendre dans la rue des milliers de manifestants dans la capitale Khartoum contre la menace d'intervention anglo-américaine. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, interviewé par Le Monde du 9 août 2004 explique: "Misons sur la volonté et la capacité des autorités de Khartoum de respecter leur parole". Libération du 23 juillet 2004 écrit: "Heureusement que la France existe! Sinon où iraient les dirigeants soudanais qui se font tous les jours remonter les bretelles par la communauté internationale au sujet des exactions au Darfour". Même Le Figaro, dans son article du 30 juillet 2004, plaçait entre guillemets les "visées humanitaires" de l'intervention française!

"Notre ami" Omar El Béchir

Le gouvernement français a proposé ses services au régime soudanais au début des années 1990, suite à la rupture des États-Unis avec le Soudan. Par la suite, les USA ont soutenu la guérilla chrétienne du sud, celle de John Garang et la France a appuyé le régime islamiste soudanais. Le 25 août 1994, L'Évènement du jeudi détaillait les fournitures d'armes françaises au Soudan en guerre. Afrique-Asie de septembre 1994 écrivait: "grâce à l'intervention de Paris, le gouvernement s'apprête à lancer une grande offensive contre les rebelles du sud Soudan depuis le Zaïre voisin." À l'époque où le Soudan hébergeait un Ben Laden en rupture avec les USA, la France cultivait des relations multiples avec ce pays: investissements pétroliers de Total, constructions de l'entreprise du BTP Grands Travaux du Midi, ventes d'avions Airbus, etc. Libération du 12 janvier 1995 titrait: "La France est aux petits soins pour la junte islamiste de Soudan". En janvier 1996, la France donnait sa caution pour que le FMI reprenne sa coopération avec le Soudan. En février 2004, DeVillepin, à l'époque ministre des affaires étrangères était reçu en grande pompe à Khartoum et déclarait: "des relations d'estime et d'amitié profonde unissent le président Chirac et le président El Béchir" et parlait de "coopération en augmentation constante" et de "relations excellentes". Omar El Béchir vient de faire officiellement la demande d'adhésion à la Francophonie, ce club des dictateurs alliés de l'impérialisme français. Mais cela fait longtemps qu'il appartient à la Françafrique, ce club d'affairistes, de barbouzes, d'espions et de militaires français et africains.

L'humanitaire ?

Pour les USA, qui ont déjà réussi à imposer au régime de Khartoum de négocier le partage du pouvoir (et des revenus du pétrole) avec la guérilla du sud, cette situation est une bonne occasion de pénétrer dans le "pré carré colonial français", en opposant les régimes tchadien et soudanais, tous deux alliés de la France. Les USA ont une visée évidente sur le pétrole tchadien qui commence seulement d'être exploité. L'intervention française a consisté à occuper la frontière pour éviter que les milices la traversent et contrer ainsi la manoeuvre américaine, pas à sauver les populations de la guerre civile, de la famine et de l'épidémie d'hépatiteE. Les interventions militaires de l'impérialisme français, de l'opération d'appui aux génocidaires du Rwanda de 1994 (qui a encore des conséquences meurtrières au Congo et au Burundi) aux multiples interventions actuelles en Afrique (Côte d'Ivoire septembre 2002, Centrafrique mars 2003, Libéria mai 2003, République du Congo juin 2003 et maintenant au Tchad et au Soudan), sont aussi humanitaires que l'incendiaire qui joue les pompiers.

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