Bordeaux : Le parcours de l'ancien combattant des ex-colonies26/08/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/08/une1882.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Bordeaux : Le parcours de l'ancien combattant des ex-colonies

À l'occasion de la commémoration du débarquement en Provence durant le week-end du 15 août, Chirac n'a pas été avare de bonnes paroles à l'adresse des anciens combattants originaires d'Afrique noire et du Maghreb; mais l'affaire des pensions de misère qui leur sont attribuées ayant fait quelques remous, la ministre de la Défense Alliot-Marie s'est sentie obligée de justifier le gouvernement: il aurait rétabli la "justice" en dégelant quelque peu ces pensions.

Une illustration de la manière dont les choses se passent concrètement est donnée à Bordeaux, où l'on rencontre beaucoup de ceux qui avaient été enrôlés au Maroc pour combattre lors de la Seconde Guerre mondiale, puis dans les guerres coloniales de la France.

Ils viennent dans cette ville parce que s'y trouvent le tribunal des pensions militaires et le centre des archives militaires. Le bouche-à-oreille et la lente mise en place d'un dispositif d'accueil ont fait qu'à présent, et depuis des années, ils sont des centaines à avoir fait ce long voyage. Dix à quinze arrivent chaque mois. Ils sont près de 300 à résider au foyer Sonacotra de Bordeaux-Nord.

Ces hommes s'exilent pour tenter de faire valoir, soixante ans plus tard, les maigres droits qui leur restent de leur passage dans l'armée française et pour envoyer de l'argent à leur famille restée au pays. Il y a quelques jours, à l'accueil de la Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Aquitaine, les employés ont ainsi reçu un ancien combattant né en 1914 qui venait d'arriver du Maroc.

En 1959, au moment de la décolonisation, le gouvernement de De Gaulle a décidé que le montant des pensions servies aux anciens combattants des ex-colonies françaises serait "cristallisé" ou "gelé". Depuis, cette somme n'étant pas indexée sur le coût de la vie, n'avait pas évolué. Une pension militaire d'un ancien combattant marocain est donc de l'ordre de 60euros par trimestre, soit dix fois moins que la pension d'un ancien combattant français.

Le gouvernement vient d'annoncer qu'il allait "décristalliser" les pensions des anciens combattants des ex-colonies. En 2001, en effet, un ancien combattant sénégalais a gagné en attaquant en justice cette discrimination et l'État français a été condamné. Mais pas question de reverser la totalité de ce qui n'a pas été payé depuis 1959, d'un montant estimé à 1,83 milliard d'euros. "Les économies des pays africains en seraient gravement déstabilisées", explique-t-on du côté du gouvernement français avec une totale mauvaise foi.

Il n'y aura donc pas d'alignement entre le traitement des anciens combattants français et celui des anciens combattants étrangers, mais une indexation sur le coût de la vie estimé par le gouvernement, dans chacun des pays de l'ex-empire colonial français, avec un rappel... sur quatre ans! Cela, selon la ministre Alliot-Marie, assurerait "l'exact équivalent en pouvoir d'achat" pour les pensions de tous... Le secrétaire d'État aux anciens combattants annonce fièrement que cela devrait revaloriser leur allocation de 20 à 100% selon le pays d'origine. Mais 20, ou même 100%, de pas grand-chose!

Selon Alliot-Marie, interrogée sur France Inter le 24 août, il n'y aurait nulle discrimination puisque ces pensions ne seraient pas une "retraite" destinée à permettre à leurs titulaires de vivre, mais quelque chose comme une distinction honorifique!

Cependant depuis la fin des années 1990, la carte d'ancien combattant permet à ses titulaires de prétendre au RMI ou au minimum vieillesse. Seulement, la loi Chevènement réglementant le séjour des étrangers les oblige pour cela à résider sur le territoire français. Pour percevoir des sommes dérisoires, ils sont donc condamnés à traîner leur ennui dans les rues de Bordeaux.

Depuis fin 2000, devant l'afflux de ces anciens combattants, les nouveaux arrivants sont dispersés dans d'autres foyers en France, à Perpignan, Nantes, Limoges, Gien... Seuls restent à Bordeaux ceux que les maladies liées à leur grand âge rendent invalides. Dans le même temps, le centre des archives militaires a aussi été transféré à Caen, ce qui rend les démarches administratives plus difficiles.

Une partie de ceux auxquels Chirac vient de déclarer la "gratitude infinie" et "la reconnaissance éternelle" de l'État français continueront à errer dans les rues en attendant chaque mois le paiement des aides sociales. Pour certains ce sera jusqu'à la fin de leur vie, comme le dénoncent les représentants de Médecins du Monde qui les aident: "Certains ne sont pas morts sur nos plages en 1944, mais sont morts à Bordeaux, seuls et isolés."

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