Enlever au Capital son droit de vie et de mort sur nous tous05/08/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/08/une1879.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Enlever au Capital son droit de vie et de mort sur nous tous

Trois cents morts dans l'incendie d'un supermarché à Asuncion au Paraguay, dont le patron avait fait bloquer les issues pour empêcher que les clients s'en aillent sans payer ! Le fric est tout, la vie n'est rien.

On pourrait en dire autant, même si c'est à moindre échelle, après l'explosion du gazoduc de Ghislenghien, près d'Ath en Belgique. Le bilan provisoire est de 17 morts, 3 disparus et 130 blessés, dont une trentaine de grands brûlés dans un état critique. Officiellement à ce jour, les causes du drame sont dites inconnues. Comme toujours dans pareille circonstance, les autorités jurent que l'enquête sera menée avec diligence. À coup sûr loin des regards de la population: un segment de canalisation retrouvé à 200 mètres après avoir été soufflé par l'explosion, aurait été mis «en lieu sûr» par l'armée. L'affaire va se discuter entre membres du monde politico-judiciaire (national et local), et économico-affairiste concerné - dans les circuits de gaz et de fric.

Causes inconnues? Pourtant, la première qui crève les yeux, est l'existence même de ce gazoduc acheminant la production de Norvège à travers la Belgique, de part en part. De Zeebrugge sur la mer du Nord vers l'Est du pays pour approvisionner l'Allemagne. Du même port de Zeebrugge vers le Sud du pays pour approvisionner la France. Les deux tronçons et leurs multiples ramifications sillonnent des centaines de kilomètres d'un des pays les plus urbanisés du continent. La société gestionnaire jure que tout allait très bien, madame la marquise (pardon, monsieur le roi!), que la sécurité était parfaite... mais que depuis l'ouverture du gazoduc en 1992, le paysage agricole traversé se serait industrialisé. La presse cite 3 entreprises de taille respectable qui s'étaient installées sur les lieux du drame, dont une encore en construction sans compter de plus petites. Comme la zone était inondable et qu'il fallait planter des pieux métalliques de plusieurs mètres pour la stabilité des bâtiments, qui sait si en plus de la société gestionnaire, des entrepreneurs n'ont pas commis d'imprudences?

Toujours est-il que ce sont les salariés de cette zone et leurs familles qui sont les victimes. Et combien d'autres sont menacées dans les quelque 350 communes du tracé de cette bombe explosive? Qui le savait? Qui le disait? C'était l'entente secrète et dorée entre quelques trusts et leurs filiales (Shell et Suez se partageant les dividendes de Distrigaz, propriétaire du gazoduc, elle-même tirant profit de sa sous- traitante gestionnaire de transport Fluxys), et l'État belge et les communes qui en tiraient l'octroi moderne.

Le sacro-saint profit capitaliste veut aussi que la zone n'ait pas été évacuée dès les premières fuites de gaz détectées, que la décision ait été laissée aux contremaîtres. Selon plusieurs témoignages de salariés, l'un d'entre eux aurait menacé de sanctions les ouvriers souhaitant quitter les lieux...

Reste que les victimes et leurs familles seront honorées par un deuil national. C'est probablement tout ce qu'elles auront. Car si les autorités promettent que le drame humain ne s'accompagnera pas d'un drame social, c'est pour évoquer explicitement et exclusivement l'indemnisation des entreprises, c'est-à-dire de leurs patrons ou actionnaires. Aucun engagement n'a été pris pour que les 2000 ouvriers touchés d'une façon ou d'une autre voient leur salaire garanti jusqu'à nouvel emploi. Certains risquent de connaître le sort des travailleurs d'AZF en France, à savoir la mutation impossible ou le licenciement, sans autre forme de procès.

Ce drame nous concerne tous. Le guide du routard des gazoducs et autres transports explosifs par rail ou route, et des implantations industrielles mortelles à grand ou petit feu en Europe, n'est pas en vente libre. Il n'existe qu'en tirage limité, pour les États et les trusts qui en tirent profit. Sur notre dos. Sur notre peau.

Du moins tant qu'une explosion sociale n'anéantira pas les règles de cette société et son primat de la recherche du profit - qui fait dans le monde plus de deux millions par an de victimes d'accidents dits «industriels». Sans compter les blessés et les mutilés.

Éditorial des bulletins d'entreprise L'Étincelle, du lundi 2 août 2004, édités par la Fraction

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