SIDA : Un crime social15/07/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/07/une1876.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

SIDA : Un crime social

Aujourd'hui 38 millions de personnes seraient atteintes du SIDA à travers le monde, pour l'essentiel dans les pays pauvres. 20 millions en sont déjà mortes. Après Doha, Cancun, c'est à Bangkok que les experts ont à nouveau débattu la question.

Pourtant depuis huit ans, un traitement existe: les trithérapies. Elles ni ont rien d'un remède miracle, elles ont des effets secondaires parfois très durs. Mais dans la plupart des cas, elles permettent aux malades de continuer à vivre, plus ou moins normalement. Et ces trithérapies, l'industrie mondiale est techniquement capable de les fournir à ceux qui en ont besoin. Avec la même facilité qu'elle a à nous inonder de crèmes antirides, de pilules amincissantes, de comprimés pour l'érection et de lotions contre la chute des cheveux. La meilleure politique de lutte contre le SIDA, un enfant du primaire serait capable de la formuler: mettre massivement en production les trithérapies, et approvisionner les malades tout en intensifiant la recherche jusqu'à la découverte d'un véritable remède.

Mais ce qui semble simple à première vue devient très compliqué dans le cadre du capitalisme. Les industries qui pourraient sauver les malades sont la propriété d'actionnaires privés. Le tout n'est pas de pouvoir techniquement produire, il faut le faire avec profit. Comme les aspirateurs sans sacs et les ampoules basse consommation, les médicaments contre le SIDA sont des marchandises protégées par des brevets dans le cadre du «droit de propriété intellectuelle». Les laboratoires qui les ont découverts bénéficient d'un monopole de vingt ans sur leur production et leur commercialisation. Cela, même quand les fonds qui ont financé les recherches étaient en grande partie publics.

Pendant vingt ans, les laboratoires détenteurs des brevets peuvent donc pratiquer les prix qu'ils veulent, engranger les profits qu'ils veulent. Une mine d'or: dans les pays riches, les malades, surtout s'ils sont couverts par la sécurité sociale ou des mutuelles, peuvent être d'intéressants clients. Et les pays pauvres? Les pays pauvres n'ont qu'à crever.

En 2000, des sociétés du Tiers-Monde annoncèrent le lancement de trithérapies à des prix 10 fois inférieurs aux médicaments de marque. Levée de bouclier des groupes pharmaceutiques mondiaux, qu'ils soient américains comme Merck ou Abbott, suisses comme Novartis ou Roche, français comme Aventis ou Sanofi: dès 2001, 39 d'entre eux lançaient des poursuites judiciaires à Prétoria contre les contrevenants. Mais quand on spécule sur la mort de millions de malades, mieux vaut ne pas trop attirer l'attention. Devant l'indignation montante, les trusts retirèrent leur plainte et engagèrent d'interminables négociations débouchant sur un accord en 2003... c'est à dire 6 millions de morts plus tard.

Que stipule cet accord? Qu'un pays peut (dans certaines conditions), passer outre un brevet pour produire lui même une trithérapie à bas prix. Mais si ce pays est trop petit et trop pauvre pour avoir sa propre industrie pharmaceutique? Il peut éventuellement être autorisé à importer une molécule copiée. Mais uniquement au terme d'une procédure extrêmement longue, un parcours du combattant administratif. Gagner du temps: tel est le mot d'ordre des multinationales pharmaceutiques. Chaque jour qui passe, plusieurs milliers de malades périssent, dans des souffrances terribles. Chaque jour qui passe gonfle les profits de l'industrie du médicament, la plus rentable de toutes les branches économiques. Encore si c'était pour financer la recherche. Mais pour un euro investi dans la découverte de nouveaux médicaments, trois sont dilapidés en publicité et en dividendes pour les actionnaires.

38 millions de malades: faudra-t-il qu'il y en ait 100 millions, 200 millions pour qu'on réagisse? Il est déjà trop tard pour que la baisse des prix suffise à stopper la pandémie. C'est gratuitement qu'il faudra apporter les traitements à ces millions de malades qui habitent les zones les plus pauvres de la planète. Cela, les patrons des groupes pharmaceutiques ne le feront jamais de leur plein gré. Il faut donc les y obliger. Quitte à les exproprier.

Placer l'industrie pharmaceutique sous le contrôle de la collectivité, produire massivement les médicaments dont la planète a besoin, les distribuer gratuitement: aujourd'hui, pour l'humanité, c'est une question de vie ou de mort.

Éditorial des bulletins d'entreprise l'Étincelle du 12 juillet publiés par la Fraction

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