Pologne : La mort de Jacek Kuron25/06/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/06/une1873.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pologne : La mort de Jacek Kuron

Décédé le 17 juin à Varsovie, à l'âge de 70 ans, Jacek Kuron était représentatif d'une génération de militants, dont les choix politiques ont lourdement pesé sur l'évolution de la Pologne au cours des quarante dernières années.

Jacek Kuron se fit surtout connaître en 1965 lorsqu'il fut exclu du Parti Ouvrier Polonais (PC), puis condamné à trois ans de prison, pour avoir signé avec Karol Modzelewski une "lettre ouverte au Parti Ouvrier Polonais". Après avoir brossé un tableau de la Pologne d'alors et tenté d'y analyser les rapports de classes, Kuron et Modzelewski en déduisaient un programme révolutionnaire pour la classe ouvrière polonaise.

Ce texte exprimait la rupture radicale de nombreux militants, souvent issus des rangs des partis staliniens au pouvoir, avec la dictature stalinienne, en même temps qu'une prise de position sans équivoque en faveur de la révolution socialiste, du communisme et du prolétariat. Revenant sur les événements de 1956 en Pologne et en Hongrie, il faisait également une critique sévère et lucide de l'opposition de gauche réformiste qui, en jouant la carte de la bureaucratie libérale contre la bureaucratie au pouvoir, portait une "grande responsabilité dans l'étouffement de la révolution en Pologne et dans son écrasement en Hongrie".

Durant les trois décennies qui suivirent les événements de 1956, cette génération de militants eut le courage de résister à la dictature et, à l'image de Kuron, elle l'a souvent payé d'années de prison et de vie dans l'illégalité. En revanche, ces militants ont progressivement abandonné le terrain politique de la classe ouvrière, par opportunisme d'abord, par conviction ensuite, pour finir derrière la réaction catholique.

Pourtant, nombre de ces militants avaient compris, après les grèves de la Baltique en 1970 et après celles d'Ursus et de Radom en 1976, que seule la classe ouvrière avait la puissance nécessaire pour mettre fin à la dictature au pouvoir. C'est avec cette conviction que Kuron participa en 1976 à la fondation du Comité de Défense des Ouvriers (KOR).

Lorsqu'une nouvelle vague de grèves secoua le pays durant l'été 1980, c'est tout naturellement que Kuron, Michnik et d'autres se retrouvèrent aux côtés des ouvriers de Gdansk. Mais c'est précisément au moment où ils allèrent vers la classe ouvrière que ces militants cessèrent de se revendiquer du marxisme révolutionnaire, pour adopter les idées plus ou moins social-démocrates en vogue dans l'intelligentsia contestataire de l'époque.

Ils contribuèrent avec Lech Walesa et le nouveau syndicat Solidarité à mettre le mouvement ouvrier polonais à la remorque de démocrates pro-occidentaux, avant de le subordonner à des courants nationalistes et franchement réactionnaires. Ainsi, la lutte des ouvriers polonais contre le pseudo-socialisme imposé par l'URSS n'allait nullement aboutir à un régime socialiste plus respectueux des droits des travailleurs. Elle servit de tremplin à des politiciens pressés d'ouvrir la porte à des capitalistes avides, liquidant une grande partie des lois sociales qui protégeaient un peu la classe ouvrière polonaise, et précipitant une grande partie de la population dans la misère.

Le fait est qu'après des années de courageux combats, Kuron, comme d'autres représentants de cette génération de militants, a fini en dignitaire du régime mis en place par Solidarité et qui, après la chute du dictateur Jaruzelski, allait accomplir cette transition. Kuron accepta ainsi d'être ministre du Travail, et à ce titre complice de la politique antiouvrière du gouvernement Mazowiecki, avant de se retirer progressivement de la vie politique.

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