Fonction publique : Précarité croissante des emplois18/06/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/06/une1872.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Fonction publique : Précarité croissante des emplois

Contractuels, CEC, CES, emplois-jeunes seraient un million à travailler dans la fonction publique, sans en avoir le statut. Selon les syndicats, ces précaires occupent un emploi sur cinq dans les ministères, les hôpitaux, les collectivités territoriales (une proportion qui serait encore plus élevée si l'on prenait en compte les emplois publics sous-traités à des entreprises privées).

Pour se conformer aux directives de l'Union européenne, qui interdisent l'enchaînement illimité des contrats à durée déterminée (CDD) dans le secteur public, l'actuel secrétaire d'État à la Fonction publique, Renaud Dutreil, vient d'annoncer qu'il allait "ouvrir le dossier de la précarité" dans les services qui dépendent de lui.

Son prédécesseur, Jean-Paul Delevoye, avait déjà dit la même chose il y a quelques mois, tout comme, il y a trois ans, Michel Sapin, membre, lui, d'un gouvernement de gauche qui, plutôt que d'embaucher des fonctionnaires, avait créé des centaines de milliers d'emplois précaires supplémentaires (les emplois-jeunes) dans les services publics.

En cela, le gouvernement Jospin n'avait nullement innové: il n'avait fait que poursuivre sur la lancée de ses prédécesseurs, de droite comme de gauche. Depuis des années en effet, tous les gouvernements successifs n'ont cessé d'agir en matière d'emploi comme n'importe quel employeur privé. Malgré les besoins criants dans des services publics de plus en plus laissés à l'abandon, ils n'y ont embauché qu'au compte-gouttes, sans même remplacer totalement les départs en retraite. Et, tout en y gelant les salaires, ils ont eu de plus en plus recours à l'emploi de personnels non statutaires, avec des contrats de droit privé ou de droit public, mais précaires.

Dans ce qu'il laisse filtrer de ses projets, Dutreil se prépare -sous couvert de mise en règle avec le droit européen- à de nouveaux coups tordus contre les salariés de la fonction publique. Car, bien sûr, il n'envisage pas un instant de "fonctionnariser" les agents sous contrats précaires.

Dans son projet de loi d'orientation pour la fonction publique, il prévoit des "CDD de trois ans maximum, renouvelables dans la limite de six ans", qui ne pourraient être éventuellement reconduits que sous forme de CDI (contrat à durée indéterminée) et, pour "les agents de plus de 50 ans justifiant de huit ans de service public", "la transformation automatique en CDI" de leur contrat précaire.

Le ministre prétend que ce serait un pas en avant. Mais vers quoi? Dans le secteur privé, tout le monde sait comment les employeurs tournent la réglementation qui pourrait interdire un trop grand nombre de contrats précaires consécutifs pour un même salarié. Quand ils ne s'assoient pas simplement dessus, ils peuvent mettre un terme à la mission (en CDD ou en intérim) d'un salarié pour recommencer avec un autre ou se contenter de l'interrompre, le temps de remettre les compteurs à zéro.

Aujourd'hui, le gouvernement veut carrément mettre en place des contrats précaires de 3 ou 6 ans: c'est la précarité institutionnalisée! En outre, dans le cas où l'État transformerait certains CDD en CDI, ces nouveaux contrats, présentés comme étant de droit public, ne feraient pas pour autant des salariés concernés des fonctionnaires de plein droit. À La Poste, par exemple, l'État transforme régulièrement des emplois de CDD à plein temps en CDI à deux tiers de temps ou à mi-temps. Il s'agit donc là, en fait, d'une façon de réduire encore la proportion des fonctionnaires de plein droit pour, à plus ou moins long terme, supprimer les divers "statuts" des employés de la fonction publique.

Que lesdits statuts n'empêchent nullement l'État de s'en prendre à ses propres salariés, on le voit bien. Mais ce que l'on voit aussi, c'est qu'à chaque fois que les gouvernants, qu'ils se disent de gauche ou qu'ils soient de droite, prétendent "réformer" la fonction publique, quand ce n'est pas pour dégrader le service rendu à la population, c'est toujours pour aggraver les conditions de ceux qui remplissent les tâches de service public.

La loi d'orientation que concocte Dutreil ne fait pas exception, même si elle y ajoute en prime le cynisme de ce gouvernement qui ose parler de lutte contre la précarité quand, en fait, il l'organise et l'aggrave.

Mais qu'il prenne garde. À continuer ainsi, il va finir par convaincre tous les salariés du privé et les agents du secteur public qu'ils sont tous voués à la même précarité, à la même absence de droits et que, embarqués dans la même galère, ils n'ont en effet pas d'autre choix que de se battre, tous ensemble.

Partager