Tragédie à l'aéroport de Roissy : Les responsabilités26/05/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/05/une1869.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Tragédie à l'aéroport de Roissy : Les responsabilités

Dimanche 23 mai, à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle (CDG), près de Paris, la voûte de la salle d'embarquement du nouveau terminal 2E (T 2E) s'est effondrée sur 30 mètres, tuant quatre personnes et en blessant trois autres.

Un miracle que le bilan ne soit pas plus terrible. Des policiers ayant été avertis de fissures dans la structure, des pompiers étaient en train de fermer un périmètre de sécurité, ce qui a sauvé la vie à des dizaines de passagers et d'employés. Mais si, au lieu de 7 heures, ce drame avait eu lieu un peu plus tard, le trafic aurait été à son comble et le nombre des victimes bien supérieur. Le lendemain, d'autres craquements ayant retenti, les pompiers ont dû faire évacuer l'ensemble du terminal, fermé depuis.

Le "non" de la commission de sécurité

L'enquête en cours devra déterminer la cause précise de la catastrophe et les responsabilités en cause. Mais on sait déjà que des fissures étaient apparues sur des piliers dès la construction du T 2E. On sait aussi que, il y a moins d'un an, l'inauguration de ce sixième terminal de CDG 2 avait dû être repoussée d'une semaine. La commission de sécurité lui avait refusé son feu vert: normes anti-incendie non remplies, accès non conformes. De plus, c'est au son des marteaux-piqueurs en activité qu'auraient été accueillis les premiers passagers et, un lustre s'étant écrasé au sol sur le passage de la commission de sécurité, elle avait de bonnes raisons de s'inquiéter.

Mais ADP (Aéroports de Paris), société gestionnaire, et Air France, principale utilisatrice de cet aérogare, voulaient que s'ouvre au plus vite ce nouveau terminal, présenté comme le summum de la technique aéroportuaire.

Pour ADP, qui multiplie les contrats à l'étranger, notamment en Chine, le 2E était "la vitrine, la salle de prestige", selon son président. Pour Air France aussi, qui était alors sur le point d'absorber la compagnie hollandaise KLM et, ainsi, de devenir une des toutes premières au monde.

Travaux au pas de course, accidents en série...

Alors, le 27 juin 2003, le chantier n'étant toujours pas achevé, l'inauguration avait quand même eu lieu, avec une foule d'invités et des reportages dithyrambiques à la télé et dans la presse. Des couacs auraient fait désordre, et la police y veillait, qui tenait à l'écart des salariés de diverses entreprises de la zone aéroportuaire venus manifester contre les conditions de travail sur le chantier du T 2E, qu'ADP et Air France avaient fait avancer à marche forcée.

Les quinze derniers jours, les ouvriers d'innombrables entreprises, bien souvent des intérimaires, travaillaient jour et nuit, sous la pression de l'encadrement pour les faire aller toujours plus vite. Résultats: le dernier mois avant l'inauguration, les accidents se sont multipliés, certains très graves (un travailleur restera paralysé à vie), et un ouvrier s'est tué en tombant d'un faux-plafond.

Mais ADP et Air France avaient leur "vitrine de prestige". Et au milieu des discours officiels vantant ce terminal dernier cri, il ne fut bien sûr pas question du fait qu'ADP, qui avait dû faire appel à la sous-traitance, avait multiplié le nombre des sous-traitants.

... et course à la rentabilité

La construction du terminal E (qui a tout de même coûté 750 millions d'euros) a ainsi été de 20% moins coûteuse que celle du précédent, le F. Mais à quel prix!

Même pas un an après l'ouverture de ce terminal "ultra-moderne", il est question de le fermer et de le raser, car des experts estiment que l'ensemble de sa structure peut avoir été fragilisé. Dès le drame, Air France a affirmé qu'il n'y aurait pas de chômage pour son personnel. Tant mieux... si c'est vrai. Mais, de toute façon, ce n'est nullement une garantie pour des centaines d'autres travailleurs, employés le plus souvent avec des contrats précaires (intérim, CDD) dans des sociétés sous-traitantes, qui accomplissent les tâches indispensables au fonctionnement de ce terminal (que ce soit dans des services techniques, d'entretien, commerciaux ou encore dans les divers boutiques et commerces) et dont l'emploi est maintenant menacé.

Quant à ADP, établissement public qui emploie 8 400 salariés, sa privatisation, annoncée après celle d'Air France, n'est encore qu'un projet du gouvernement. Mais la course à la rentabilité, pour la préparer, a été engagée depuis longtemps. Et l'on vient de voir où elle peut conduire.

Partager