Le baptême des fonds de pension par Raffarin28/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1865.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Le baptême des fonds de pension par Raffarin

Le coup d'envoi à la retraite par capitalisation vient d'être donné. Les décrets d'application instituant le Plan d'Épargne Retraite Populaire (PERP) sont publiés. Le gouvernement espère convaincre et surtout contraindre, par la baisse programmée du niveau des pensions, une partie des salariés -ceux qui en auraient les moyens- de jouer leur future retraite en Bourse.

Voilà qui satisfera les banquiers et les assureurs qui trépignaient depuis des mois et avaient même commercialisé le PERP avant son existence officielle.

Les mensonges du gouvernement

En présentant leur projet de loi sur les retraites l'été dernier, Fillon et Raffarin juraient leurs grands dieux qu'il ne s'agissait pas d'instaurer les fonds de pension et de mettre en place une retraite par capitalisation. «Nous n'entendons pas ouvrir l'espace aux fonds de pension», assurait François Fillon, encore ministre des Affaires sociales à l'époque. Six mois après, c'est chose faite.

Ce que le gouvernement propose aux salariés du secteur privé, c'est de confier à leur banquier ou à un assureur une épargne mensuelle. Ces versements seront déductibles des impôts sur le revenu, dans la limite de 10% des revenus et de 23700 euros par an, ce qui constitue un beau cadeau fiscal aux plus riches et qui écarte d'emblée de cet avantage tous ceux qui ne sont pas imposables sur le revenu, soit la moitié des salariés qui, faute de revenus suffisants, ne sont pas assujettis à cet impôt.

La somme ainsi versée sera indisponible jusqu'à la retraite et donc à la disponibilité exclusive de l'établissement financier. Ensuite, s'il n'a pas disparu dans une faillite boursière ou déposé le bilan, le fonds de pension versera une rente viagère jusqu'à la mort du souscripteur. Rien, dans le décret, ne prévoit une hausse de cette rente, ne serait-ce qu'en fonction de la hausse des prix. Ainsi, avant la Deuxième Guerre mondiale, alors qu'existait la retraite par capitalisation, des milliers de souscripteurs avaient été plumés, leurs bons du Trésor et autres rentes ayant fondu avec l'inflation et la dévaluation de la monnaie.

Plus récemment, les scandales comme celui d'Enron au États-Unis ont illustré le risque qu'il y avait pour les salariés à mettre leur retraite à la disposition de sociétés qui spéculaient en Bourse, en l'occurrence leur propre patron. Avec la faillite d'Enron, des dizaines de milliers de salariés ont perdu, non seulement leur emploi, mais aussi leur retraite, investie en actions de l'entreprise.

C'est d'ailleurs à cause du scandale provoqué par la faillite de ces fonds de pension que le gouvernement a dû patienter. En février 2003, Cornut Gentile, un député UMP, expliquait: «Il est inopportun de parler de fonds de pension quand la Bourse s'effondre.»

Aujourd'hui, le gouvernement répond à l'impatience des grands groupes. Ils sont en effet les seuls gagnants à coup sûr: le fromage que représente pour eux le PERP est évalué à 180 à 200 milliards d'euros, d'ici une quinzaine d'années, pour une collecte annuelle de souscriptions de 7 milliards d'euros. On comprend l'empressement des banquiers et spéculateurs en tout genre. Cela leur permettra de financer les différentes manoeuvres boursières: OPA, rachats, fusions, versements de dividendes et stock-options à leurs actionnaires et dirigeants, sur un champ encore plus large.

L'aveu du hold-up sur les retraites

À vrai dire, le principal argument des établissements financiers dans cette opération est la baisse du niveau des pensions de la retraite par répartition, conséquence directe des lois Balladur et Fillon, qui rendent nécessaire, pour maintenir un tant soit peu le montant de sa retraite, de prévoir un «complément». C'est donc bien l'amputation des retraites par Balladur et Fillon qui a ouvert un «espace aux fonds de pension», en dépit des dénégations de Fillon.

En effet, le «taux de remplacement», c'est-à-dire le rapport entre le montant de la retraite et le dernier salaire perçu, était de 70 à 80% avant ces réformes. Dans vingt ans, ce taux sera inférieur de 20%, de 50 à 60% et même moins de 50% pour certains cadres. Et encore, pour quelqu'un qui aura droit à une retraite à taux plein! Mais pour tous ceux qui n'auront pas pu cotiser durant certaines périodes de leur vie, des mères de famille, des chômeurs non indemnisés ou des allocataires du RMI par exemple, la retraite sera misérable.

Maintenant, les politiciens, les journalistes et autres spécialistes qui défendaient la prétendue «réforme des retraites» comme inévitable et juste, admettent le hold-up que cette réforme entraîne sur les retraites des salariés du secteur privé ou du secteur public.

Menacés d'une baisse importante de leur niveau de vie, les salariés, du moins ceux qui en ont les moyens, sont «incités», si l'on ose dire, à épargner, et donc à se restreindre aujourd'hui. Non seulement ce choix représente l'équivalent d'une hausse des cotisations retraite, que le gouvernement prétendait vouloir éviter en allongeant la durée de cotisation, mais de plus il n'y a aucune garantie de bénéficier d'une retraite digne de ce nom après une vie de labeur!

Les fonds de pension ressemblent aux «saignées» des médecins d'antan: loin de soigner le malade, elles risquent de le terrasser.

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