Le numéro spécial du centenaire de l'Humanité : La mémoire qui flanche22/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1864.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Le numéro spécial du centenaire de l'Humanité : La mémoire qui flanche

Pour commémorer son centenaire, l'Humanité a édité un numéro spécial évoquant, «en 500 photos, les Unes historiques, les moments forts de 100 ans d'histoire», les événements qui ont émaillé un siècle de publication du quotidien du PCF. Mais, à part quelques fac-similés, il ne s'agit pas d'un recueil d'articles d'époque pouvant permettre de juger sur pièces les choix politiques antérieurs du PCF, mais d'articles rédigés aujourd'hui pour présenter au public un visage conformiste, dans l'air du temps, en écartant ce qui fâche, aussi bien l'engagement révolutionnaire des débuts que le stalinisme qui lui succéda. Des pans de l'Histoire, que le parti, au plus fort de ses années staliniennes, avait effacés, resurgissent, mais avec pour arrière-pensées le désir de trouver une place dans le courant social-démocrate.

Ainsi Trotsky, longtemps calomnié par les rédacteurs staliniens, est évoqué à plusieurs reprises. La révolution russe de 1905 est à peine signalée, mais la condamnation de Trotsky à la «déportation à vie» en Sibérie est mentionnée, sans préciser que cette condamnation était celle du président du premier soviet («conseil») ouvrier de l'histoire.

Ni les Unes de l'Huma titrant «Vive la République des Soviets» (novembre 1917), avec les portraits de Lénine et Trotsky, ni la Une d'août 1921, «Le roman héroïque de l'armée rouge raconté par son créateur: Trotski», ne sont présentées. En revanche on cite Trotsky et «la répression de la révolte de Kronstadt» (1921), une façon de se démarquer, sans le dire, de la révolution russe.

La «construction du socialisme dans un seul pays» chère à Staline fit couler beaucoup d'encre dans les colonnes de l'Humanité des années trente, mais elle n'est évoquée ici qu'en quelques lignes sur la «dictature stalinienne en marche» et l'élimination par Staline, après la disparition de Lénine, de tous les autres dirigeants de la révolution russe, «éliminés par la mort, l'exil, le suicide». L'hystérie stalinienne qui traitait de «terroristes», de «vils agents de la bourgeoisie» et de «complices de la gestapo hitlérienne» les trotskystes qui continuaient de défendre les idéaux du communisme et de la révolution ouvrière, est rappelée en une phrase.

Un article évoque un parti qui aurait toujours pris «le parti du colonisé contre le colonisateur». Mais on fait silence sur les années 1945-1947 où le PCF, au nom de l'«Union française», défendait la nécessité pour les colonies françaises de rester sous la tutelle de la métropole impérialiste. En ces lendemains de «victoire sur le nazisme», les militants nationalistes qui, en Algérie par exemple, luttaient contre le colonialisme étaient traités de «fascistes». Les bombardements de l'aviation française à Sétif, en août 1945, qui firent des milliers de morts civils, sont de même passés sous silence.

Même discrétion pour la politique du «produire, produire, produire» de Maurice Thorez qui, aux côtés de DeGaulle dans le même gouvernement à la fin de la guerre, pesa de tout le poids du PCF, pour que la classe ouvrière française, au prix d'un travail acharné, remette sur pied l'économie de la bourgeoisie française. Là encore, il fallut attendre que les ministres communistes soient écartés du gouvernement en avril 1947, après la grève Renault déclenchée contre l'avis des dirigeants du PCF et de la CGT, pour que la grève cesse d'être considérée par l'Huma et les dirigeants du PCF comme une «arme des trusts».

Les lecteurs de l'Humanité de l'année 1956 n'ont jamais lu le titre «Les chars soviétiques écrasent Budapest». Ils lisaient au contraire que, grâce à l'intervention des chars russes, en Hongrie, «le pouvoir populaire est solidement rétabli». L'Huma saluait les «fermes décisions du gouvernement de Hongrie pour en finir avec les fauteurs de troubles».

La même année, le vote des «pleins pouvoirs» au socialiste Guy Mollet, qui s'en servira pour intensifier la guerre en Algérie, est mis au compte de la malhonnêteté de Guy Mollet qui ne tient pas les «engagements fermes lors de son investiture». On suggère ainsi que les dirigeants du PCF ont été trompés, alors qu'ils ne pouvaient qu'être conscients des conséquences de ce geste, sauf à être des naïfs en politique. C'est d'ailleurs la politique de Mollet, soutenue par le PCF, qui pavera la route au retour de DeGaulle en 1958, et non pas les militaires, comme titre un article de ce supplément.

Mai 68, auquel le PCF s'était largement opposé, de même d'ailleurs que la lutte des Lip, font désormais partie du panthéon du PCF. L'article de Georges Marchais dénonçant les groupuscules gauchistes est passé à la trappe. Enfin, la participation au gouvernement en 1981, derrière Mitterrand, est saluée, mais la politique dite d'austérité ne commencerait qu'après le départ des ministres PCF en 1984, alors qu'en réalité elle a débuté dès 1982. Silence sur le «sale boulot» évoqué par le dirigeant du PS, Mauroy, contre les sidérurgistes, ou la dénonciation des ouvriers de l'automobile en grève chez Citroën, dénoncés par le même comme des «ayatollahs». Quant au vote pour Chirac au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2002, il est discrètement présenté comme «faire en sorte que les résultats du candidat Le Pen soient le plus bas possible», en tablant qu'avec le temps ce peu glorieux épisode de la gauche française sera oublié.

Dans cette façon de présenter aujourd'hui les choses, l'Humanité reste au moins fidèle à une école historique capable de réécrire l'histoire au fur et à mesure des tournants politiques, y compris à 180°, qui ont marqué son passé.

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