Le Conseil d’État reconnaît la carence de l’État pour l’amiante : Un demi-siècle de carence criminelle24/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1860.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Le Conseil d’État reconnaît la carence de l’État pour l’amiante : Un demi-siècle de carence criminelle

A la suite de plusieurs affaires judiciaires concernant des travailleurs victimes de maladies dues à l'amiante, le Conseil d'État a admis la «carence fautive» de l'État pour n'avoir pas pris à temps une législation appropriée afin de protéger ceux qui se trouvaient en contact avec cette substance.

En France, il a fallu attendre 1945 pour que l'asbestose, maladie voisine de la silicose, dans laquelle les fibres d'amiante se fixent de manière irréversible dans les poumons, soit reconnue comme maladie professionnelle. Mais sans qu'il soit imposé aux travailleurs de prendre des précautions particulières, sinon qu'il était recommandé de porter un masque...

Il faut tout de même savoir que la nocivité de l'amiante a été dénoncée dès 1906, et qu'une réglementation la concernant a commencé à être prise en Grande-Bretagne en 1931.

En France, il fallut attendre 1975 pour que le travail sur l'amiante soit interdit aux moins de 18 ans. Pourtant, depuis 1973 il était admis qu'en plus de provoquer l'asbestose, l'amiante était un produit cancérigène.

Bref, dès cette période on pouvait dire qu'on avait déjà trop attendu pour prendre des mesures anti-amiante, et qu'il aurait fallu l'interdire complètement. Mais les industriels producteurs et utilisateurs, dans le bâtiment, l'automobile, etc., ne l'entendaient pas ainsi. Et il fut défini des valeurs limites d'exposition (les VLE): on pouvait travailler l'amiante, mais à condition de ne pas dépasser un certain seuil. Rapidement, devant les maladies liées à l'amiante qui se développaient, les autorités durent baisser les VLE et finalement admettre que ces VLE ne servaient à rien.

Et en fin de compte, ce n'est qu'en 1997 que l'utilisation de l'amiante fut complètement interdite en France. Au bas mot avec cinquante ans de retard, si on veut être rigoureux, et plus de vingt ans si on se contente de retenir la date où l'amiante fut reconnue comme cancérigène.

Alors, quand aujourd'hui le Conseil d'État admet la «carence fautive» de l'État, il énonce une évidence. Cet arrêt permettra peut-être à quelques victimes de toucher des indemnités un peu plus conséquentes. Mais les vrais responsables, les patrons, les administrateurs et les membres du corps médical qui se sont rendus complices du retard de l'interdiction de l'amiante, ne sont pas poursuivis. Ils ont pourtant des responsabilités écrasantes dans des milliers de décès.

En l'an 2000 on dénombrait en France 3 327 pathologies liées à l'amiante, dont 728 cancers. On compte aujourd'hui environ 3000 décès par an dus à l'amiante. Et ce nombre devrait augmenter de 25% tous les trois ans durant les quinze prochaines années, jusqu'à ce que l'effet de l'interdiction de 1997 se fasse sentir et que le nombre des victimes commence à décroître. On peut parler de catastrophe sanitaire.

Et la catastrophe n'a pas été commise parce qu'on n'aurait pas connu les dangers de ce produit. Le patronat et l'État ont sciemment, volontairement, envoyé des travailleurs à la maladie et à la mort. «Carence de l'État»? Le mot est faible, c'est «crime d'État» qu'il faut dire.

Partager