Elections régionales : Désaveu pour la droite, progression de la gauche et stabilité de l’extrême gauche24/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1860.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Elections régionales : Désaveu pour la droite, progression de la gauche et stabilité de l’extrême gauche

Par-delà le nombre de régions susceptibles d'être perdues par la droite au lendemain du deuxième tour, le premier tour, le seul où l'opinion des électeurs n'est pas transformée par les éliminations ou les fusions, constitue un désaveu pour le gouvernement Raffarin et pour Chirac. Par rapport aux élections régionales précédentes, la droite recule de 35,85% à 34,96% et le total des listes de gauche -regroupant les listes communes à tout ou partie de l'ex-gauche plurielle, ainsi que les quelques listes séparées du Parti Communiste et des Verts- atteint 40,31% des voix, dépassant les 36,48% des régionales de 1998 et aussi les 32,45% calamiteux des quatre candidats se revendiquant du gouvernement Jospin au premier tour de la présidentielle de 2002 (37,78% si on compte Chevènement, devenu critique sur le tard).

La droite paie la politique du gouvernement Raffarin

Alors qu'aux régionales de 1998 la gauche, avec 7812222 voix, ne dépassait en métropole les 7677289 voix de la droite que de 134933 voix, cette fois-ci le décalage est plus fort puisque, avec plus de 9486362 voix, la gauche dépasse la droite (8226947 voix) de 1259415 voix.

Tous les commentateurs ont parlé de vote-sanction, et à juste titre. A force de mener une politique ouvertement contre les intérêts des classes populaires en s'en prenant, pêle-mêle, aux retraites et aux retraités, aux chômeurs, aux services publics et à leur personnel, aux enseignants, aux chercheurs, le gouvernement Chirac-Raffarin a suscité une réaction. Il arrive que les gouvernants paient aux élections le prix de leur politique... Jospin en sait quelque chose! Tant mieux. Mais la sanction n'est jamais très lourde tant que les déplacements des voix se font entre grands partis qui se succèdent alternativement au pouvoir et que la déception à l'égard des gouvernants en place est canalisée par ceux qui ont déçu hier.

C'est bien le cas cette fois. Le rejet électoral de la droite au gouvernement a profité, pour l'essentiel, aux partis de gauche. Mais cela ne représente pas vraiment une poussée à gauche, et il faut rappeler que la droite et l'extrême droite prises ensemble restent largement majoritaires dans l'électorat. Par ailleurs si, en pourcentage, la gauche progresse fortement par rapport au premier tour de la présidentielle, sa progression en nombre de voix est relativement modeste.

Ce que l'on peut en conclure c'est que, parmi toutes les options possibles pour manifester leur mécontentement à l'égard du gouvernement Chirac-Raffarin -vote à l'extrême gauche, vote pour le Parti Socialiste, abstention ou vote de désespoir aveugle en direction du Front National-, la protestation des classes populaires s'est exprimée par le vote en faveur des listes de l'ex-gauche plurielle.

Cela ne signifie pas nécessairement que la gauche a retrouvé du crédit dans les classes populaires, ni que celles-ci ont oublié sa politique pendant les cinq ans où elle a dirigé le pays. Cela signifie seulement que, aux yeux des électeurs, voter pour la gauche est apparu la façon la plus efficace d'exprimer son aversion pour la droite.

Malheureusement, si ce vote exprime en effet le désaveu à l'égard du gouvernement, il n'est pas à même d'exprimer le rejet de la politique favorable au grand patronat et lourde pour les classes populaires, car c'est cette politique-là qui a été menée également par la gauche lorsqu'elle était au pouvoir. Il est vrai que l'attitude de la droite gouvernementale est tellement cynique à l'égard des classes populaires qu'en comparaison, le passage de la gauche au gouvernement apparaît moins pire... du moins jusqu'au prochain passage. En réalité, les gouvernements se passent le relais, chacun reprenant les mesures antiouvrières du précédent en y ajoutant les siennes et, donc, le dernier en place apparaît pire que le précédent.

Le Front National se maintient

La protestation envers le gouvernement aurait pu s'exprimer d'une façon pire encore si elle s'était traduite par un vote plus massif en faveur du Front National. Globalement, cela n'a pas été le cas. Par rapport aux élections de 1998, si les résultats de l'ensemble des listes d'extrême droite ont progressé, passant de 15,49% à 16,61%, ceux du Front National ont légèrement reculé, de 15,27% à 15,11%. Rappelons qu'au premier tour de l'élection présidentielle Le Pen avait recueilli 16,86% des voix. Et si l'on y ajoute les voix en faveur de Mégret, on arrive à 19,20% pour l'extrême droite.

Les comparaisons entre l'élection présidentielle et les élections régionales sont toujours faussées. Il n'en reste pas moins que, si les 3908061 voix recueillies par l'extrême droite représentent un nombre important et traduisent la permanence de l'influence réactionnaire dans le pays, ce chiffre est loin d'atteindre les 4804713 voix obtenues par Le Pen en 2002 (et à plus forte raison les 5471739 voix réunies par Le Pen et Mégret).

Si on ne peut donc pas parler de progrès de l'extrême droite, on peut parler du maintien de son influence. Le Front National continue à fédérer le vaste électorat d'extrême droite qui a toujours existé dans ce pays. Mais il confirme aussi, malheureusement, qu'il conserve une certaine influence électorale sur les couches populaires, comme en témoignent ses résultats dans certaines régions ouvrières comme le Nord-Pas-de-Calais ou la Picardie.

Les résultats des listes LO-LCR

Quant aux résultats des listes LO-LCR, une certaine presse se fait plaisir en parlant «d'échec» ou de «recul». Ce qui ressort des chiffres, c'est simplement que le mécontentement envers la politique du gouvernement de droite ne s'est pas exprimé sur ces listes. C'est dommage, mais c'est ainsi. On peut penser que le réflexe du vote utile a d'autant plus joué que les élections régionales apparaissent comme ayant un enjeu de pouvoir, sinon évidemment à l'échelle du pays, du moins à l'échelle de chaque région. La conquête par la gauche d'un certain nombre d'exécutifs régionaux au détriment de la droite a pu apparaître, aux yeux des électeurs, comme un des aspects du désaveu à infliger à la droite. A tort pour ce qui est de la gestion des régions, car bien malin celui qui peut déceler une différence significative entre la façon dont un exécutif de gauche gère une région et la façon dont le fait la droite. Les uns comme les autres utilisent le budget public pour favoriser le patronat local, quand bien même c'est autant d'argent détourné des services publics.

Les commentateurs, voulant démontrer l'échec de l'extrême gauche, comparent les résultats des listes LO-LCR aux régionales à leurs propres prédictions ou aux sondages, c'est-à-dire non pas à ce que, nous, nous prévoyions, mais à leurs romans. Quand ils veulent comparer des chiffres, ils comparent les résultats de ces régionales de 2004 à ceux du premier tour de l'élection présidentielle de 2002. Mais la comparaison est boiteuse. Ce sont les résultats de la présidentielle qui étaient exceptionnels, avec les quelque 10% cumulés par Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Daniel Gluckstein. En réalité, depuis neuf ans, depuis l'élection présidentielle de 1995, il y a un électorat d'extrême gauche stable, qui représente autour de 5% au niveau national et qui, à part les législatives de 2002, s'est manifesté dans toutes les élections, au-delà de leur variété et de leurs aléas.

Comparés aux élections régionales de 1998, les résultats de l'extrême gauche se maintiennent.

Même là, la comparaison ne peut pas être rigoureuse car, en 1998, non seulement LO et LCR s'étaient présentées séparément, mais en plus il n'y avait pas de liste d'extrême gauche dans la totalité des départements de la France continentale. Il est néanmoins significatif de constater qu'en 1998 l'extrême gauche avait recueilli 938796 voix (4,38%) et qu'en 2004 ces chiffres sont de 1078447 (4,58% des suffrages exprimés). Dans 45 des 70 départements où il y avait une liste d'extrême gauche en 1998 et une liste LO-LCR en 2004, c'est-à-dire dans la majorité des cas, il y a une progression de nos résultats.

Autre comparaison, cette fois-ci avec les européennes de 1999, où LO et la LCR, en se présentant ensemble, avaient recueilli 905118 voix (5,18% des exprimés), contre 1078447 voix (4,58%) à ces régionales de 2004. Léger recul, donc, en pourcentage, progression en nombre de voix, donc maintien global de l'électorat.

Et, évidemment, aucun "commentateur de bonne foi" n'a eu l'idée de comparer les résultats de ces régionales aux législatives de 2002 où, en totalisant les voix recueillies par les candidats de Lutte Ouvrière et par ceux de la Ligue Communiste Révolutionnaire, on obtient 622451 voix (2,47% de l'électorat). Par rapport à ces législatives, les dernières en date des élections avant les régionales de cette année, il y a pourtant eu un redressement important pour l'extrême gauche, aussi bien en voix qu'en pourcentage.

L'exception était l'élection présidentielle de 2002, où les candidats d'extrême gauche avaient bénéficié, à des degrés divers, du vote des «déçus du socialisme» sauce Jospin. Une partie de l'électorat socialiste et communiste traditionnel, écoeurée et déçue par cinq ans de gouvernement de la gauche plurielle, avait voulu se démarquer de Jospin. Après cinq ans de participation gouvernementale, le Parti Communiste était tellement lié au Parti Socialiste que les électeurs qui s'étaient détournés de Jospin ne s'étaient pas tournés vers Hue. Pis, pour le Parti Communiste: la majorité de son propre électorat a rejeté Jospin et Hue dans le même opprobre, le candidat du Parti Communiste recueillant un score ridiculement faible, bien en deçà de l'influence électorale du parti. Ceux des électeurs du Parti Socialiste et du Parti Communiste qui ne s'étaient pas réfugiés dans l'abstention s'étaient reportés sur des candidatures aussi diverses que celles de Taubira ou Chevènement, ou sur les trois candidatures de l'extrême gauche. C'est cette fraction de l'électorat qui, après les résultats du premier tour et l'élimination de Jospin du second, a été effrayée par son propre geste au point de porter ses votes sur Chirac. On peut penser que ces électeurs qui, par leurs idées politiques, n'ont jamais quitté la mouvance social-démocrate, sont revenus à leurs votes traditionnels, maintenant que le Parti Socialiste est dans l'opposition et que c'est au tour de la droite de supporter la déconsidération découlant des mesures impopulaires.

Les quelque un million d'électeurs qui ont porté leurs votes sur les listes LO-LCR pèsent peu dans les urnes étant donné la barrière portée à 10% par la nouvelle loi électorale. Mais ces régionales ont confirmé l'existence d'un électorat d'extrême gauche stable et fidèle, qui se reconnaît dans les objectifs que l'extrême gauche a mis en avant dans ces élections régionales et qu'elle défend tout au long de l'année dans les milieux populaires et dans les entreprises. Et cela a de quoi nous encourager, quoi qu'en disent les commentateurs.

Tant qu'il ne s'agit que de déterminer, dans les urnes, qui accédera aux institutions représentatives de l'appareil d'État au service de la bourgeoisie, un million de bulletins de vote, 5% du total, représentent bien peu. D'autant moins que les dirigeants politiques ont de multiples moyens de triturer les modes de scrutin et de faire en sorte que des courants minoritaires soient écartés de toute représentation. C'était le but de la modification du mode de scrutin pour les régionales, décidée par Jospin et aggravée par Raffarin-Sarkozy. Cela n'empêche pas nombre de commentateurs de gloser sur le thème: «Le recul de l'extrême gauche a entraîné leur disparition complète des Conseils régionaux». Alors que, si le mode de scrutin de 1998 avait été maintenu -il n'était pourtant pas un modèle en matière de démocratie-, les listes LO-LCR auraient dû obtenir autant d'élus qu'en avaient obtenu en 1998 LO (20) et la LCR (2), et même plus, même si la répartition par région de ces élus n'aurait pas été la même.

Mais nous ne sommes pas de ceux qui pensent que c'est par les élections que les classes populaires peuvent obtenir des changements décisifs. Les élections constituent un thermomètre mesurant l'influence des uns et des autres dans l'électorat. Le maintien des votes en faveur de l'extrême gauche montre à la fois la permanence d'idées qui, en cas de luttes sociales, peuvent peser sur les événements, mais aussi tout ce qui reste à faire pour accroître la présence, réelle, physique, des révolutionnaires dans les quartiers populaires comme dans les entreprises, là où se produisent les mouvements sociaux capables de changer la vie.

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