Russie : Poutine réélu18/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1859.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Poutine réélu

Sans surprise, Poutine a été réélu à la tête de la Fédération de Russie. Comme en 2000, il l'emporte au premier tour, mais avec une majorité accrue (71,2%), la plus large obtenue à un scrutin présidentiel russe.

C'est le troisième scrutin du genre depuis la dissolution de l'URSS, fin 1991. Le premier, en 1996, avait vu un très haut dignitaire du régime précédent, Eltsine, se succéder à lui-même tandis que les clans de la bureaucratie dirigeante dépeçaient l'économie ex-soviétique. En plus d'appauvrir la population de façon dramatique, cette curée gigantesque ne cessait d'affaiblir le pouvoir central, enjeu du combat entre appareils dirigeants pour s'approprier tout ce qu'ils pouvaient de la propriété de l'État, et d'un pouvoir qui pouvait donc être source d'enrichissement.

Le krach financier de 1998 enfonça encore plus la Russie dans la crise. Le 31 décembre 1999, dans une ambiance de fin de règne marquée par d'énormes scandales financiers au sommet, Eltsine démissionna en faveur de Poutine qui, fraîchement nommé Premier ministre, n'était pas encore atteint par le discrédit frappant les hommes du Kremlin.

L'alcoolique Eltsine, entouré de favoris pillant les caisses de l'État, incarnait la faiblesse d'un pouvoir en proie au gangstérisme des cliques dirigeantes. En revanche, l'ex-chef de la police politique Poutine voulait donner l'image d'un homme à poigne qui saurait restaurer l'autorité d'un État à la dérive. Sa première cible fut la république sécessionniste de Tchétchénie, où il se faisait fort de ramener l'ordre, comme dans toute la Fédération russe.

Poutine et son bilan

Quatre années de massacres plus tard, la guerre n'en finit pas dans cette Tchétchénie désormais livrée à un président local désigné par Poutine, un chef de guerre rallié au Kremlin, dont les gangs prétendent "sécuriser le territoire" en terrorisant la population. Dans le reste du pays, Poutine se flatte d'avoir mis un terme au chaos et à l'instabilité politiques légués par Eltsine. Dans les régions, transformées en fiefs privés par les chefs de la bureaucratie, Poutine a obtenu de ceux-ci qu'ils lui fassent allégeance, en échange de quoi il ne s'immisce pas dans leurs affaires. Quant aux médias, plus aucun ou presque ne s'aventure à critiquer Poutine, qui les a repris en main dès 2000, notamment en exilant et expropriant deux favoris d'Eltsine qui avaient raflé une bonne partie de la presse, en même temps que d'autres pans de l'économie.

Le Kremlin rappelait ainsi, à ceux qui avaient jusqu'alors profité de la faiblesse de l'État central pour s'enrichir de façon fulgurante, qu'ils devaient leur position au bon vouloir des autorités. Et pour ceux qui l'oublieraient, depuis octobre 2003, il fait mijoter en prison l'homme le plus riche du pays, Khodorkovski, dont la compagnie pétrolière pourrait revenir, sinon à l'État, du moins aux hauts appareils de l'armée, de la police et des services secrets.

Un mieux en trompe-l'oeil...

L'arrestation ou l'exil de quelques super-riches n'ont bien sûr pas rendu la population travailleuse moins pauvre. Mais elle voit sans déplaisir mettre au pas certains de ceux qui symbolisent à ses yeux ce qu'elle a subi et subit encore. Au moins en apparence, cela tranche sur l'ère Eltsine. Fait nouveau aussi, on recommence à embaucher ici ou là, salaires et pensions ne sont plus systématiquement versés avec des mois de retard, voire augmentent parfois après une décennie d'effondrement du pouvoir d'achat et de marasme de l'économie.

Cependant, si la production s'est un peu redressée, elle n'a même pas retrouvé son niveau de 1991. Et surtout, cette embellie relative dépend essentiellement du prix élevé sur les marchés mondiaux des principaux produits d'exportation russes, le gaz et le pétrole. Autant dire qu'elle est à la merci d'un retournement des cours. Mais, depuis des mois, pendant qu'ils le peuvent encore, les médias portent cette "reprise" à l'actif de Poutine.

À la veille de l'élection présidentielle, ce dernier a aussi limogé son gouvernement, présenté comme responsable des limites d'une amélioration dont la population entend plus parler qu'elle ne la voit se concrétiser: comme il y a quatre ans, un Russe sur quatre vit toujours en dessous du seuil de pauvreté.

Au fond, la population ne nourrit sans doute guère d'illusions sur Poutine, mais c'est cette situation, apparemment en voie de stabilisation, qui explique les résultats de ce scrutin et ceux des récentes élections législatives où les partis politiques autres que le bloc pro-Poutine ont été laminés.

Pour cette présidentielle, les partis ayant un groupe à la Douma (Assemblée nationale) n'ont présenté que des seconds couteaux, assurés qu'ils étaient de n'y faire que de la figuration. Quant aux autres partis, il leur fallait recueillir des millions de signatures dans tout le pays en un court laps de temps pour désigner un candidat: une mission si impossible... que le pouvoir en a aidé certains afin de préserver un semblant de choix face au candidat-président.

Peut-être la présence de cinq "concurrents" a-t-elle permis d'inciter les électeurs à se rendre aux urnes, alors que le Kremlin, disait-on, aurait craint une abstention massive. Mais si le code électoral russe stipule que, faute d'un quorum de 50% de votants, un autre scrutin doit être organisé avec de nouveaux candidats, une telle éventualité ne constitue pas vraiment un risque pour le pouvoir. Depuis quinze ans qu'il organise des élections dites pluralistes, il a appris à s'en accommoder. Après le rouleau compresseur d'une propagande officielle omniprésente, les pressions multiples et variées exercées sur les électeurs par leurs employeurs, par l'administration ou dans les services sociaux, le bourrage des urnes (dans plusieurs régions, Poutine frise 100% des voix!), il reste les commissions électorales nommées par le pouvoir qui se chargent d'ajuster les résultats à ce qu'il souhaite.

À défaut d'y parvenir dans la réalité de la vie sociale et économique autant qu'il le prétend, le pouvoir arrive donc à s'affirmer dans les urnes. Quitte à y mettre les formes qui permettent aux chefs des grandes puissances d'affirmer que tout est (presque) pour le mieux dans la meilleure des Russies possibles.

Ainsi dès l'annonce des résultats, le secrétaire d'État américain Colin Powell, disant avoir eu "quelques inquiétudes" sur les conditions de la réélection de Poutine, déclarait qu'en Russie "la démocratie n'est pas en difficulté". L'avis émane d'un connaisseur, s'agissant d'un de ces dirigeants du monde impérialiste qui prétendent instaurer la "démocratie" en Irak en écrasant son peuple sous leur botte.

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