Irak : Derrière la Constitution provisoire11/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1858.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : Derrière la Constitution provisoire

A en croire les commentateurs, la signature le 8 mars d'une Constitution provisoire par les 25 membres du Conseil de Gouvernement irakien, l'organisme fantoche mis en place par les autorités américaines, serait une grande "victoire de la démocratie".

Sur le papier, cette Constitution évoque sans doute en long et en large des droits démocratiques en des termes assez similaires à ceux employés par n'importe quelle Constitution occidentale -tout particulièrement pour ce qui est du droit des individus à la propriété privée et à une justice équitable. Cela ne manque pas de cynisme, de la part des autorités américaines qui ont rédigé ce projet, quand on sait que quotidiennement leurs soldats mettent à sac les habitations de prétendus suspects, les arrêtent et les jettent en prison sans procès ni preuves.

Un retour hypocrite à la charia

Quoi qu'il en soit, le caractère prétendument démocratique de cette Constitution ne résiste pas longtemps à l'examen. Par exemple, le droit de grève y est reconnu "dans les limites de la loi". Or elle dit par ailleurs que les décrets pris par l'autorité d'occupation resteront en vigueur, y compris donc celui qui réitère l'interdiction du droit de grève qui existait déjà sous Saddam Hussein dans les entreprises relevant du secteur public -c'est-à-dire, aujourd'hui encore, l'essentiel de l'économie du pays!

Mais surtout, la Constitution provisoire fait de l'islam non seulement la religion d'État, mais une "source de législation", tout en interdisant toute loi qui "contredise les bases fondamentales de l'islam". Ce n'est qu'une façon hypocrite de faire de la charia une référence juridique, ramenant du même coup le pays au temps où, avant le coup d'État nationaliste de 1958, il était régi par des lois qui en étaient inspirées, mises en place par les colonisateurs britanniques dans les années 1920.

Sans doute, au passage, un coup de chapeau est donné aux droits des femmes -probablement surtout à l'adresse de l'électorat américain. Toute discrimination est condamnée de façon formelle, mais sans se prononcer explicitement sur les pratiques discriminatoires de l'islam à l'égard des femmes et sans rien dire, par exemple, sur les meurtres de femmes adultères ou la polygamie, qui avaient été décriminalisés sous Saddam Hussein, dans les années 1990. Il est bien dit que la loi électorale devra "viser à faire en sorte que les femmes constituent pas moins d'un quart des membres" de la future Assemblée nationale. Mais il ne manque pas d'exemples de pays pauvres où les femmes des classes privilégiées bénéficient pratiquement des mêmes droits que les hommes, alors que la majorité écrasante des femmes des classes pauvres subissent une oppression sans nom: le cas du Bangladesh, où les leaders des deux grands partis qui se succèdent au pouvoir sont des femmes, en est l'illustration la plus notoire.

D'ailleurs l'Assemblée nationale prévue par la Constitution sera fermée à l'écrasante majorité des classes pauvres, ne serait-ce que parce que la Constitution impose à ses membres d'avoir plus de 30 ans et au moins un diplôme secondaire. Mais en plus, la façon dont elle sera désignée reste délibérément floue. De toute évidence, les dirigeants américains veulent garder l'option d'une Assemblée désignée par des notables sur une base régionale, comme cela s'est fait en Afghanistan -idée qu'ils ont dû abandonner pour l'instant en Irak, face à l'opposition des partis religieux chiites, mais à laquelle ils n'ont sans doute pas renoncé.

Un bout de papier pour cacher la guerre civile

En théorie c'est sous l'égide de cette Constitution que se fera le transfert des pouvoirs au Conseil de Gouvernement irakien, prévu pour le 30 juin par le calendrier fixé par Bush en novembre dernier. C'est aussi à cette date que devrait commencer le désengagement des troupes américaines, promis par Bush à l'électorat américain dans le cadre de la campagne présidentielle en cours.

Mais pour que ces promesses aient la moindre crédibilité, encore fallait-il que la Constitution provisoire fasse l'unanimité des 25 membres du Conseil de Gouvernement. Or cela n'a pas été sans mal. Non seulement la cérémonie de signature, initialement prévue pour le 2 mars, a dû être reculée, suite à une série d'attentats sanglants visant des lieux de culte chiites, attentats qui ont fait plus de 180 morts et ont souligné les moyens dont disposent les opposants à un tel processus. Mais en plus, le 5 mars, une partie des membres du Conseil de Gouvernement ont brusquement fait savoir qu'ils ne voulaient plus signer. Après plusieurs jours de négociations sous la houlette de l'ayatollah Ali Sistani, les récalcitrants ont fini par se laisser amadouer. Et il y a tout lieu de penser que la hiérarchie religieuse chiite a tenu ainsi à rappeler qu'elle restait l'arbitre incontournable avec lequel devraient compter les dirigeants américains.

C'est dire, en tout cas, à quel point cette unanimité de façade est en fait factice. Les autorités américaines ont réussi à faire accepter aux partis nationalistes kurdes une Constitution implicitement placée sous le signe de la charia et reconnaissant l'Irak comme un État arabe (ce que ne sont pas les Kurdes), en échange d'une relative autonomie régionale kurde et d'un droit de veto de fait sur la future Constitution définitive. Or ce sont là des concessions que les partis religieux chiites n'ont tolérées qu'en disant ouvertement qu'il serait toujours temps de revenir dessus par la suite.

Mais de toute façon, cette Constitution ne vaut que ce que vaut le rapport des forces sur le terrain. Or on voit mal qui pourra la faire respecter dans le contexte de la guerre civile actuelle, face aux diverses forces qui combattent l'occupation américaine aussi bien que le Conseil de Gouvernement et sa police. A moins, bien sûr, que la promesse de désengagement militaire de Bush ne soit qu'électorale et que l'impérialisme continue à maintenir l'ordre, cette fois au nom de la "défense de la démocratie" -ce qui ne serait pas la première fois! C'est ce que pourrait laisser penser le fait que, pour l'instant, loin de diminuer, les effectifs militaires américains sont en train d'augmenter, avec l'arrivée de nouveaux contingents sous prétexte de relève.

En fait de "victoire de la démocratie", entre les troupes d'occupation, la police irakienne et les groupes terroristes islamistes ou autres, la population irakienne se retrouve prise en otage par la loi sanglante des bandes armées. Et c'est là le prix de la politique criminelle de l'impérialisme en Irak.

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